Dans le deuxième opus de La vie sexuelle des Belges, nous retrouvons Jan Bucquoy, devenu animateur culturel au camping Cosmos, s’échiner à amener la culture au peuple. Il est bientôt rejoint par Eve, sa fille adolescente, dont il ne s’est jamais beaucoup occupé. Entre match de boxe et représentation avortée de Mère Courage, entre fritkot et séances de hula hoop sur la plage, foisonne une galerie de personnages hauts en couleur qui se cherchent, se trouvent, se tuent, s’entartent, se quittent, chantent, lisent Sartre ou Tintin au Congo, mangent des frites, vomissent en jouissant, collectionnent les petites culottes et révèrent Eddy Mercx.
Ce n’est pas un hasard si le Grand Prix du Festival du Film Trash de Lille de 1996 a été décerné à Camping Cosmos. Jan Bucquoy, iconoclaste devant l’éternel, semble collectionner à dessein les thèmes qui fâchent : perversions sexuelles, terrorisme, meurtre, adultère, Tintin, subventions artistiques, royauté, littérature, publicité… rien n’échappe à son mauvais goût. Et pourtant, ce verni potache n’est que la politesse du désespoir : accablé par la médiocrité ambiante, Bucquoy prône l’exaltation des désirs face à une société marchande et triste.
Bien au-delà, c’est une merveilleuse mise en abyme qui nous est ici offerte : à l’instar de son personnage qui réconcilie enfin art et culture populaire en faisant brandir des phrases d’auteurs surréalistes par Lolo Ferrari (sublimée par la tendresse du réalisateur) entre les rounds d’un match de boxe, Jan Bucquoy réussit ici la prouesse de nous offrir un film intellectuel et léger. Ou quand J’aime j’aime la vie rime avec Gramsci…
Il est, de plus, un secret bien gardé chez les Belges : si nous aimons beaucoup rire de nous-mêmes, nous avons souvent honte d’essayer de définir notre identité au-delà de quelques poncifs sur-exploités (bières, surréalisme et chocolat). Or, Jan Bucquoy, subtilement, nous offre ici une pierre angulaire à une construction identitaire collective : la belgitude est partout présente et ce n’est certes point un hasard si l’intrigue a lieu en 1986, année où Sandra Kim gagne l’Eurovision tandis que les petits Belges se distinguent à Mexico.
Chansons populaires (La P’tite Gayole), littérature (Marcel Marïen), casting aussi impressionnant que déroutant (mention spéciale pour un Arno hilarant en garde-côte homosexuel), accents du terroir, gloires sportives (Eddy Mercx), peinture de mœurs (les congés payés à la mer), gastronomie (la vrai recette de la graisse de frites enfin révélée !) et bien sûr notre inénarrable sens de la dérision : ce film est aussi un magnifique cri d’amour au plat pays.
La question identitaire ne se résume pas qu’au seul pays : à l’instar de La vie sexuelle des belges (1994) et pour la dernière fois dans la fresque éponyme, Jean-Louis Compère campe le personnage de Jan Bucquoy alors que celui-ci endosse le rôle de Cibulski, terroriste enseignant la recette de la nitroglycérine aux enfants du camping, partant, aux spectateurs du film.
Le casting est lui aussi un immense jeu de miroir où certains incarnent leur propre rôle fictionnalisé (veine que Jan Bucquoy explorera ensuite plus en profondeur, notamment dans Les vacances de Noël en 2004) là où d’autres célébrités belges sont utilisées dans des contre-emplois jubilatoires (l’entarteurNoël Godin en Pierre Mertens maladroit et pontifiant y est hilarant). Là où les personnages se cherchent, la répartition des rôles nous emmène dans une kermesse grimaçante qui n’est pas sans rappeler Ensor.
« Un film sensible, donc, et ontologique pour qui voudra bien se donner la peine de suivre les chemins de traverses qui, avec un guide comme Jan Bucquoy, s’avèrent mener avec intransigeance à une vie libre et belge.