Logan Bronson (Slovenians), Cocaine blues

J’ai arrêté de boire et de me droguer. J’en ai aussi vachement marre d’y perdre des potes. Quand la Gazette du rock a pris « La folie » pour thème, ça m’a donné envie de parler de santé mentale face à notre bon vieux « sex and drugs and rock n’roll ». J’ai, pour ce faire, conversé avec Logan Bronson, frontman des Slovenians et patron du tattoo shop saint-gillois Charcoal. Il avait deux trois trucs à en dire.

Ça ressemble à quoi, les Slovenians ?

Ça part sur du punk mais ça touche un peu à tout. Enfin, principalement punk blues, punk rock n’roll.
Quand Felix est arrivé pour remplacer Sin [à la guitare, ndlr], on est plus partis vers du punk plus metal, plus skate punk, on va dire, NoFx et cetera, mais tout en gardant ce petit côté un peu Dead Kennedys fort présent dans la voix.

Est-ce que t’as envie de parler de la folie ?

C’est quoi, la folie, en fait ? Pour qui ? Il y a un gars, il s’est trépané lui-même pour être tout le temps comme si il avait pris de la drogue. Il a lui-même fait un trou : il n’avait pas d’argent pour se payer une perceuse…
Et, là, il est heureux, quoi ! Pour lui, c’est peut-être un raisonnement super sensé parce qu’il est dans son propre esprit, il est dans son truc. Pour lui, c’est normal, c’est logique. Pour d’autres, ça va être de la folie.

Le fait de me voir boire dix bières avant de monter sur scène puis de m’éclater tout le week-end, pas dormir entre le vendredi et le dimanche, pour d’autres, ça va être la folie : « Hey, gros, arrête, tu vas mourir ! » Pour moi, bah c’est un week-end, quoi. C’est quoi la folie ? Est-ce que c’est ne pas être dans les normes ? Mais alors, les normes à qui ? Qui est le juge de la folie ?

Parle-moi de Siniša [feu le guitariste des Slovenians, mort il y a trois ans. Ça se prononce « Sinicha » ndlr].

Siniša, c’était quelqu’un de solaire. C’était vraiment un soleil ! C’était un casse-couilles de ouf ! Il était toujours à faire chier, mais c’était que de l’amour !
C’était quelqu’un, je pense, de triste. Quelqu’un qui ne s’est jamais senti à sa place nulle part. Alors que sa place, c’était avec nous, c’était là où il était ! — mais pour lui, c’était pas ça. Je pense que c’est ça qui l’a amené vers ses excès multiples et cetera.
Mais c’était vraiment quelqu’un de solaire, quelqu’un de super créatif.

Quand Siniša te demandait : « Hey, ça va ? », c’était pas genre « Salut ça va ? », non. C’était « Est-ce que ça va ? » Tu disais « Oui », il te disait : « Ho, gros ! Est-ce que ça va ? Est-ce que tu vas bien ? » Tu le rencontrais une fois, tu le voyais une deuxième fois, la troisième fois il te demandait : « Comment tu vas ? » Alors qu’il ne connaissait de toi que ta bière préférée et ce que t’aimais comme musique !

C’était quelqu’un de sincère, c’était quelqu’un de super créatif, c’était vraiment, ouais, quelqu’un de fabuleux, quoi !
C’était un sale gosse ! C’était vraiment un sale gosse de quarante ans ! C’était un sale gosse de quarante ans qui avait vécu plein plein de choses. Il était croate, il avait bougé de Croatie avec ses parents et sa sœur pour Bruxelles.

Je voudrais parler avec toi de « sex and drugs and rock n’roll ».

Je crois que c’est un peu pour ça que j’ai commencé à faire de la musique. T’sais, la légende des backstages avec des putes et de la coke ! « Ben tu vois, c’est ça que je veux faire ! JE VEUX FAIRE ÇA, en fait ! Mourir à vingt-sept ans, comme Kurt Cobain, d’overdose ! » Déjà à douze ans, j’étais un peu con !

Quand tu regardes la vie d’un groupe, t’sais, Lemmy, speed, alcool, machin… en fait, c’est un quart de leur vie, c’est un vingtième de leur vie, il n’y a pas que ça. Sauf que moi, j’avais pas très bien compris tout ça ! Pour moi, sexe, drogues et rock n’roll, c’était sexe. Et drogues. Et rock n’roll ! C’était comme ça, quoi, tu vois !
Mais à un moment, tu te dis que bah en fait non, ça marche pas. Mais quand tu dis ça, c’est trop tard, t’es quand même vachement dedans. On a notamment perdu Sin avec ça.


Malgré ça, ben j’ai continué, hein, j’ai continué à taper. Je tape encore de temps en temps. Bien moins qu’avant. J’ai pris vraiment un bon coup dans la gueule. C’est hyper hypocrite de dire : « Mon pote est mort à cause de ça ! » et de te faire une trace juste après. Je trouve ça complètement con !
Malheureusement, pour sortir de ça, sachant que, dans le milieu, tout le monde tape… tout ton cercle d’amis… ça veut dire que tu peux plus les voir si tu veux vraiment arrêter. On a beau dire : « Ouais, il suffit de dire non » ; ça, c’est des gens qui n’ont jamais tapé parce qu’il ne suffit pas de dire non. Tu peux aller avec n’importe qui qui dit : « Non, je prends plus ». Puis on t’appelle :
« Tu viens boire un verre ?  
— Ouais ! 
— Tu veux une trace ? »
Ben demande à un chien si il veut du sucre ! Ouais, évidemment, je veux une trace !

Donc, bon, est-ce que je nie tout le monde ? Est-ce que j’arrête la musique ? — parce que c’est ça aussi, Slovenians : j’arrive en concert, mon personnage scénique, il est bâti autour d’un mec bourré tout le temps sous prods. Donc, ouais, ça influe à fond sur la musique aussi. Quand j’essayais de composer ou de monter sobre sur scène, c’était horrible, c’était pas moi et ça n’avait rien à voir avec ce que je faisais.
Donc, tu dis : « Est-ce que j’arrête la musique ? » Parce que sinon c’est peut-être la musique qui va finir par me buter. Parce que c’est à cause de la musique principalement que je tape, que je vois des gens, que machin.

Tu t’es dit : « Si je continue, je vais mourir » ?

Honnêtement, j’ai pas peur de la mort. J’ai vraiment pas peur de la mort et ça m’intéresse. Qu’on ne me prenne pas pour un suicidaire. Absolument pas. Mais si la mort arrive, putain, merde, « Viens, pose-toi, on va prendre un café et puis on y va. »
C’est pour mes proches, en fait. J’ai été assez égoïste toute ma vie en faisant le con, en passant à chaque fois à ça d’y passer, en faisant des conneries, des bagarres, machin, ’fin des trucs vraiment de merde. À un moment, je ne me suis pas dit : « Merde, il faut que j’arrête, je vais mourir. » Je me suis dit : « Il faut que j’arrête parce que je fais du mal… Le mal que je veux me faire en prenant tous ces trucs, je ne le fais pas qu’à moi. Il est dispatché vers tous les gens qui m’aiment, tous les gens pour qui j’ai de l’importance, tous les gens qui me sourient, qui m’appellent « mon pote ». » Et c’est tous ces gens-là pour qui je me suis calmé de dingue. Pour moi aussi, mais avant moi, eux. Pour qui je me suis calmé et qui m’ont fait dire que ça vaut le coup. Ça vaut le coup d’attendre encore un petit peu. Je pense pas encore vivre cinquante, soixante piges, mais il y a des années qu’on va vivre, et on va le faire bien, dans l’amour et plus dans l’égoïsme comme je le faisais avant.

Il y a moyen de pas devenir chiant, quand on se calme ?

On ne devient pas chiant, on s’emmerde. Encore plus ! Parce que, si tu prends de la drogue, si tu sors tout le temps, si tu te mets des races de fou, enfin, moi, perso c’est parce que je m’emmerde !
Et quand t’arrêtes, dans un premier temps, tu t’emmerdes de ouf ! Et là, tu te poses la question : « Mais est-ce que je fais bien d’arrêter ? Est-ce que la vie vaut vraiment le coup d’arrêter ? » Parce que, ho putain, c’est chiant, les gens sont cons !

Et plus tu restes sobre, plus tu restes clean, plus tu te rends compte qu’en fait, c’est la drogue qui rendait tout chiant. C’est l’abus de drogue qui te fait dire : « En fait, tout est chiant. Quand je prends pas de drogue, ça va pas ! » T’en as tellement pris que quand t’en prends plus, ça va pas. Ton cerveau, il t’envoie des messages, en mode « Je me sens pas bien, il faut que j’en reprenne ! »

Quand j’arrête de boire pendant quelque temps, putain ! Même au bout de deux trois jours, je me rends compte, putain, mon cerveau, ben il fonctionne bien, en fait ! Waw ! je peux faire plein de trucs ! Je tremble plus quand je dessine, j’ai plein d’idées que je pensais n’avoir qu’avec la drogue.

Je pense que j’arrêterai jamais vraiment, honnêtement. J’arrêterai jamais vraiment. Mais par contre, voilà, je peux passer x temps sans prendre, il n’y a plus aucun problème. Parce que j’ai compris que c’était la drogue qui me faisait penser toute la merde à laquelle je pensais.

Je me suis rendu compte que je m’ennuyais avec la coke : je revivais toujours la même soirée.

Tu te rends vraiment compte de ça quand t’es en présence de gens qui sont bourrés, qui ont pris. Et toi t’es sobre et ils sont [parle super vite] : « Non, mais en fait, mais tu comprends pas, parce que le truc c’est qu’en fait… » Et toi, t’es : « Waw ! Mais en fait, c’est chiant, quoi ! En fait, c’est super chiant. »
Comme tu le dis : c’est tout le temps la même soirée. T’arrives :
« Ouais, mec, ça va ? 
— Ouais ! 
— Tu viens avec moi dans la salle de bain ? 
— Ouais ! » [Geste de se prendre une latte].
Et tous les week-ends, quoi ! Ta vie se résume à ça. Tu te pètes la gueule le week-end pour oublier que ta semaine a été chiante puis tu revis une semaine chiante puis tu te re-pètes la gueule pour oublier que ta semaine a été chiante.

Comment t’as arrêté ?

J’ai fait un truc qui m’a vraiment changé la vie, qui m’a bouleversé. C’est l’ayahuasca. C’est un genre de cérémonie chamanique. On appelle ça « le rendez-vous avec soi-même », parce que tu te parles à toi-même. Toi ou la plante. Je crois que ça a été une des plus belles expériences de ma vie ! Quelque chose de divin, de céleste. C’est vraiment ça, tu côtoies le divin.

Ça m’a permis de faire mes adieux à Sin. Ça faisait deux, trois ans que je le vivais très très mal, que j’arrivais pas à accepter, j’arrivais pas à accepter du tout. Et la plante m’a posé des questions :
« Pourquoi t’es triste ? 
— Parce que mon pote est mort.  
— Mais est-ce qu’il est en paix, ton pote ? 
— Ouais ?… S’il est mort, c’est qu’il est en paix.  
— Donc tu devrais être content qu’il soit mort. Être triste, c’est ramener la tristesse de sa mort à toi. Est-ce que tu veux pas quelque part que les gens te plaignent d’être triste parce qu’il est mort ?  
— Un peu. »
Je me suis réveillé de cette cérémonie en paix. J’acceptais. J’ai accepté pour la première fois de ma vie quelque chose vraiment sincèrement. J’ai compris. J’ai compris. La plante m’a expliqué qu’en fait la coke, c’était quelque chose qui allait t’éloigner de la paix intérieure. La paix intérieure, c’est le truc le plus important dans ta vie. Je pense. Pour moi. Et ça m’a permis de mettre le pied dehors.
Je me suis rendu compte qu’en fait la vie était merveilleuse. Mais genre mer-veill-eu-se.
Chaque jour que je passais sans drogue, l’Univers me déposais un petit cadeau. Dans la rue. Un petit cadeau chez moi, dans ma tête…


J’ai été que haine toute ma vie. J’étais un râleur, j’étais un sanguin… Toujours un petit peu maintenant, mais plus axé sur l’amour, quoi. Sur l’amour. Sur les autres. Sur la paix, en fait. La paix et l’amour. C’est vraiment, je pense, le truc sur lequel je me focuse le plus quand je me demande si j’achète un gramme ou pas.
« Est-ce que cette semaine était pas bien, mec ? 
— Ouais. 
— Pourquoi t’achètes un gramme, alors ? 
— Pfff, je sais pas, je suis un con. 
— Ben achète pas ! 
— Ok. Ça marche. »
Et voilà ! Ça marche pas à tous les coups, hein ! Il y a des fois où j’ai eu des pires semaines que d’autres ! Et là, hop, là, c’est parti !

Mais tu le fais en conscience.

Exactement. Exactement. En fait, avant, je prenais et puis je regrettais.
« Oh, j’aurais pas dû, je… 
— Non, mec, fuck off ! Tu le fais. Tu le fais en pleine âme et conscience. T’as mis cette thune dans ce truc, tu vas kiffer ta vie, maintenant que t’as pris ce truc ! Et tu vas surtout pas chialer ! Et demain, au lieu de t’énerver parce que t’es en descente, tu tourneras ta langue sept fois dans ta bouche, tu vas souffler, tu vas faire un petit puzzle ou je sais pas quoi. Tu prends conscience que c’est ta faute. Qu’avant de le prendre, t’allais bien. Donc maintenant que tu l’as pris, c’est pas une raison pour aller moins bien ou pour reprendre. »

Une anecdote que tu as envie de raconter ?

C’est le truc qui m’a le plus fait chier de ouf avec les Slovenians, mais c’est aussi le truc qui m’a le plus fait marrer ! On avait été sélectionnés pour un Tremplin Rock pour le Durbuy Rock Festival, un truc comme ça… À l’audition, on était avec quatre ou cinq autres groupes. On est arrivés à 14h. Et v’là-t-y pas qu’on est tirés au sort pour jouer à 22h ! Donc, on avait du fric, on se faisait chier [rires] et, de 14h à 22h, Sin et Ben se sont envoyés, je crois, sans exagérer, entre six et dix canettes maxi 50 ! Ils sont montés sur scène chacun avec cinq litres de bière dans la gueule minimum… Cinq litres de bière minimum ! — et je te parle pas des shots qu’on se faisait au baby foot !
On s’était préparés de dingue ! Nos trois ou quatre répètes avant, elles étaient au poil ! Elles étaient léchées !  On avait dit : « Est-ce qu’on s’habillerait pas tous un peu pareil pour qu’il y ait une identité pour le groupe ? » J’étais venu costard cravate ! On était auch ! On était prêts ! On est montés sur scène, Sin, à un moment, il a arrêté de jouer pour s’accorder ! Normal ! T’sais, c’est jamais qu’un concours, on s’en fout ! Donc, Sin s’arrête et s’accorde. Et il reprend un autre morceau. Donc baisés.
Un ou deux morceaux après, t’as Ben [rires] qui tombe avec sa guitare ! Pouf, comme ça ! [rires] Raide ! Fini !
Le mec nous a fait : « Euh, les gars, on va finir ? » et nous, on était là : « Il nous reste quatre morceaux ! » « Ouais, ben, vous avez épuisé votre temps. » Normalement, notre set, il fait royalement trente minutes. Là, je crois qu’on a joué trois morceaux !
Donc Laurent et moi, on était, mais verts ! Ça avait failli partir en bagarre tellement Sin était déchiré en sortant. Il nous tordait le nez, les oreilles, en mode « Hey, les gars, on s’en fout, quoi, c’est du punk ! » J’étais là : « Mais gros, le punk, ça veut pas dire on fait n’importe quoi, et on s’en bat les couilles ! On a bossé pour ce truc. » On aurait très bien pu être sélectionnés, franchement — ‘fin, sans nous jeter des fleurs : on était carrés, on était au point ! Pour, au final, qu’ils massacrent tout en attendant de pouvoir jouer ! Ben ouais voilà ! Le rock and roll ! C’était vraiment le rock n’roll !

Punk und broll Festival en l’honneur de Siniša
Musique : Slovenians, « I’m not batman » (album « Al dente »)

Les Slovenians ont un site, un Bandcamp, un Spotify, un Facebook et un Instagram.
Ils sont distribués par P.O.G.O. records.

Thierry Bouüaert a illustré cet article avec ses doigts de fée. Vous pouvez le retrouver ici.