Il y a vingt ans, je découvrais avec délices mon premier jeu vidéo parlant ! Ce n’était que le début de multiples heures de ravissement : tentacule machiavélique, faux vomi, momie à roulettes… Il y a vingt ans, sortait Day of the Tentacle, un des meilleurs jeux d’aventure graphique au monde. Il y a une semaine, nous avons scellé nos retrouvailles dans une folle nuit blanche. Et bien, j’ai pris plus de rides que lui !
Le danger quand, pour empêcher un tentacule mutant de dominer le monde, on utilise des machines à remonter dans le temps avec des matériaux de mauvaise qualité, c’est qu’on risque d’envoyer un de ses amis deux cents ans dans le futur et l’autre deux cents dans le passé. On se retrouve alors à devoir se passer des objets aussi indispensables qu’un dentier de cheval ou un cigare explosif à travers des Cathy-cabines-machines-à-remonter-temps — quand on n’est pas en train de congeler un hamster. Je l’ai appris durant ma fraîche adolescence, à cette époque obscure où, faute d’internet, nous étions obligés de trouver les solutions à nos problèmes ludiques par la seule force de notre persévérance.
Dans les années nonante, LucasArts connaît son apogée grâce à ses innovations techniques (le moteur SCUMM, notamment), son excellence et son humour. Les Indiana Jones et Monkey Island sont déjà des classiques du jeu d’aventure en pointer-et-cliquer quand ils ont l’idée de génie de confier la direction de ce sequel de Maniac Mansion (1987 — qui se retrouve en easter egg dans Day of the Tentacle : on peut le jouer entièrement à partir de l’ordinateur d’un personnage, une première pour l’époque) à Dave Grossman et Tim Schaffer, hommes extrêmement drôles et exigeants qui avaient déjà collaboré sur les Monkey Island. Et c’était une bien bonne idée !
Ce qui marque avant tout, dans Day of the Tentacle, c’est que c’est hilarant. Du graphisme cartoonesque à la logique imparable bien que sauvagement WTF (si tu veux faire pleuvoir au dix-huitième siècle, lave donc ton carrosse!) sans oublier une myriade de répliques cultes, on se retrouve à rigoler bêtement pendant des heures, tout seul, devant son écran d’ordinateur.
Le joueur se doit donc de sauver l’humanité d’un belliqueux tentacule mutant. Pour cela, il dispose de trois protagonistes coincés au même endroit à des époques différentes. Hoagie, roadie métalleux pas très fûté, côtoie les Pères Fondateurs américains ; Bernard, prototype du nerd, vit dans le présent, tandis que Laverne, étudiante neurasthénique, tente de fuir l’esclavage que les tentacules font subir aux êtres humains deux cents ans dans l’avenir. Ils peuvent se passer les objets qu’ils glaneront, à travers leurs WC respectifs, afin que chacun puisse trouver un moyen d’avoir assez d’énergie pour retransformer ceux-ci en machines à remonter dans le temps et empêcher le tentacule de boire l’eau radioactive qui a créé sa mutation.
Pour la première fois, un jeu vidéo se fait parlant, et pour cela, ont été enregistrés des acteurs dont les performances sont toujours bluffantes aujourd’hui. On en profite d’autant mieux grâce à de multiples séances de dessins animés qui parsèment l’intrigue, nous informant des progrès de l’immonde Tentacule Pourpre dans sa domination de notre planète. Un même soin a été apporté au graphisme, inspiré de l’univers de Chuck Jones, dont le délicatesse fait fort vite oublier le côté pixelisé vintage.
Salué unanimement par la critique à sa sortie, il est toujours aujourd’hui cité dans les meilleurs jeux de tous les temps par la presse spécialisée et suscite des soupirs nostalgiques chez ceux qui, comme moi, y ont passé moultes heures de nos tendres années.
Et, joie ! les trésors de LucasArts ne sont plus simplement réduits à des souvenirs : grâce au programme ScummVM, ces vénérables antiquités peuvent tourner sur notre technologie moderne ! C’est drôle ! C’est intelligent ! C’est beau ! C’est historique ! Qu’est-ce que tu attends pour aller sauver le monde ?