Myriam Leroy est victime de notre long hiver : c’est presqu’en se mouchant dans sa pizza qu’elle a répondu à mes questions sur sa vie, son oeuvre, son âge. Cela n’a pourtant entamé ni sa joliesse ni sa finesse d’esprit. On l’aime bien, celle qui n’aime rien.
Qui es-tu ?
J’ai trente et un ans, j’habite à Bruxelles, je suis diplômée en journalisme.
Je suis journaliste freelance, donc je bosse pour qui veut bien de moi.
Je travaille en presse écrite pour le Focus Vif, en radio pour la Première. Je fais aussi des petits trucs à côté. Et je donne aussi des cours à l’Université, à l’UCL : des ateliers d’écriture pour les étudiants ; c’est super gai.
Te voici maintenant trentenaire…
J’ai eu super peur d’avoir trente ans. Ça faisait vingt ans que j’ai peur
d’avoir trente ans. Et maintenant que je les ai, je trouve que c’est un
chouette âge. En fait, j’ai l’impression que le monde est devenu ton terrain de
jeu et que ça y est, t’as plus qu’à te baisser pour ramasser. On te prend au
sérieux et c’est assez gai.
Et sexuellement aussi !
Oui ! En fait, je crois que, si il ya deux trucs qui sont super, avec le
vieillissement, c’est le sexe et le journalisme parce que tu emmagasines
beaucoup plus d’expérience, tu sais beaucoup mieux comment faire les choses,
t’as plus de culture… et donc, les deux, euh… ne sont pas liés mais
fonctionnent de manière un peu similaire.
Pourquoi tu es si méchante ? Tu es une petite gonzesse frustrée qui ne croit pas en elle ?
Oui, c’est ça. [rires] Je suis malheureuse, et comme tous les gens malheureux… Non, je crois que je dois avoir quelques frustrations, quand même, que j’ai besoin d’exorciser à travers l’exercice de la chronique.
C’est surtout un exercice de style : je prends des petits agacements que j’ai et je grossis le trait en faisant semblant que c’est des raisons pour moi de taper dans le mur le matin alors que ça va relativement bien, mentalement.
Mais beaucoup de gens le prennent au premier degré, alors que c’est plutôt le plaisir de l’exercice de style, trouver des arguments… Parce que tout peut être démoli. Quoi que tu prennes… Dieu, Mère Teresa, ta mère, tu peux tout démolir. Il suffit juste de trouver les bons arguments et la manière un peu rigolote de les tourner pour avoir l’air convaincant. Et je trouvais que c’était à chaque fois un exercice d’esprit et de style rigolo à faire.
Est-ce que tu sens que c’est plus difficile d’être dans ce genre d’humour
et du subtilité en tant que femme ?
Je ne sais pas si c’est plus difficile, mais en tous cas, dans les critiques
que je reçois, il y a beaucoup de « Salope ! », « Grosse pute ! »… Je ne vois
pas très bien en quoi la sexualité intervient là-dedans, mais bon… Et que je
devrais me faire baiser un bon coup, et que ça me détendrait un peu le slip…
Je pense qu’on ne dirait pas à un mec qui écrit des chroniques de ce genre-là : « Tu ferais bien de te faire sucer un bon coup ! » Je sais pas, comment est-ce qu’on pourrait trouver l’équivalent de « salope » et « grosse pute » pour un mec avec le même degré de dévalorisation de la personne ? Mais voilà, c’est ce que j’ai remarqué dans les insultes que je reçois ; d’ailleurs, tu verras : au milieu du bouquin, il y a quatre page d’insultes « die, bitch ! », « connasse »…
Est-ce que c’est difficile à porter ?
Non, moi, j’aimais plutôt bien, en fait. Mais bon, c’est pas très subversif,
hein ! J’ai pas la prétention de dire que je dérange avec un truc pareil. En
tous cas, il y avait des gens que ça faisait chier.
Donc, tous les mardis — c’était le jour de la chronique sur Pure FM — j’avais mon petit lot d’insultes et en fait, j’aimais assez bien ça : c’était assez rigolo, ça me faisait beaucoup mousser, et c’était une façon de faire du personnal branding à peu de frais, de recycler les insultes que tu reçois. Parce que, quand tu es indépendante, tu dois beaucoup communiquer sur ton travail pour le faire connaître, pour essayer d’en avoir plus après. Et donc, voilà, quand je communiquais, je communiquais beaucoup sur les insultes que je recevais.
Mais c’est vrai qu’à mon avis, au bout d’un certain temps, ça doit rendre les gens un peu fous.
Comment est-ce que tout ça a commencé ?
Je travaillais pour le Focus Vif qui avait un partenariat avec Pure FM mais qui ne savait pas comment l’honorer parce que personne dans l’équipe n’avait jamais fait de radio. Sauf moi, qui en avait déjà fait sur une antenne régionale il y a longtemps.
J’ai commencé par faire des chroniques sur les séries télé puis le directeur d’antenne m’a demandé de faire une proposition de chronique. C’était au moment où, dans les Inrocks, il commençait à y avoir les billets durs de Christophe Conte, qui écrivait des lettres sur le principe de dézinguer les gens et les choses qui font l’actualité. Mais c’était très court et c’était parfois un peu frustrant. Et donc, je trouvais qu’il y avait quelque chose à creuser là-dedans.
Le premier truc que j’ai proposé, c’était un billet sur Katherine Pancol. Je venais de lire un livre d’elle et j’avais vraiment envie de le brûler et de dire à toutes les femmes de l’univers de ne jamais lire de Katherine Pancol parce que c’était vraiment t’enfermer dans ta condition de pauvre fille qui ne sortira jamais de ses carcans.
Ça m’a fait du bien et puis je me suis rendue compte que c’était une bonne idée. Et donc, ils ont dit oui et voilà, ça a duré pendant deux ans.
Ça veut dire quoi, le journalisme, en 2013 ?
Je crois que c’est une lutte. C’est tenter, envers le poids des communicants de
la crise, de la pression temporelle, de témoigner du monde qui nous entoure.
C’est souvent du par défaut fait avec les petits moyens qu’on
t’alloue. Oui, c’est ça : c’est une lutte, c’est un combat !
Est-ce que c’est facile d’en vivre ?
Non. Ah non non, c’est galère. C’est galère tous les jours. Même si maintenant,
ça commence à aller un peu mieux pour moi, c’est pas facile d’en vivre. En tous
cas, si t’es un peu regardant, que t’as un peu des idéaux et envie de choisir
ce que tu fais.
Est-ce que t’aurais un conseil à donner à un jeune fan qui voudrait devenir
comme toi ?
Pas lâcher le morceau, je crois. Parce que, dans ce milieu-là, t’as plein de
raisons de te décourager, de te trouver nulle, d’avoir l’impression que tu ne
vas jamais y arriver. Si t’as un peu pas confiance en toi, après un mois, tu
vas un peu travailler ailleurs, tu vois. Tu vas travailler à la boucherie ou
dans une banque…
Tu ne comptes pas t’orienter plus internet ?
Si. Moi, je crois que l’avenir est vraiment là. D’ailleurs, avec Focus, on a lancé — enfin, j’ai lancé — enfin on a lancé sur mon idée, un podcast radio, un sorte de magazine culturel où chaque semaine, on parle d’un livre, d’un film, d’un disque et d’une série. Et c’est super gai : t’as aucune contrainte de temps ni d’espace, ta ligne éditoriale peut être beaucoup plus souple. Le seul truc, c’est qu’il n’y a pas encore de modèle économique vraiment intéressant et pertinent. Pour l’instant, on s’amuse beaucoup sur internet mais on voudrait beaucoup arriver à monnayer tout ça et à en vivre.
C’est quoi, ta meilleure série de tous les temps ?
Avant, j’avais une espèce d’obsession pour Lost : j’y pensais la nuit, j’en rêvais… Et quand Lost a été terminée sur un très mauvais épisode…
Putain ! chaque année, le 23 mai (c’était le jour du dernier épisode, en 2010),
je fais une petite prière en pensant à Lost! Et je sais que c’était pas une série parfaite ou la meilleure du
monde, mais moi, je la trouvais géniale, la galerie de personnages était super.
Sinon, dans les séries contemporaines, il y a Top of the lake. Une série de Jane Campion, de sept épisodes. En Nouvelles Zélande, dans des décors vraiment incroyables. Une histoire bien glauque d’une gamine de douze ans enceinte, elle ne sait pas même pas de qui, elle ne se souvient pas. C’est une enquête policière, mais c’est surtout le portrait du village, consanguin à mort, enfin, c’est vraiment génial. C’est un bon conseil pour vos longues soirées d’hiver du mois de mai.
Là, c’est ton deuxième bouquin. C’était un rêve, pour
toi, de devenir écrivain ?
Je ne me considère pas écrivain avec un recueil de chroniques, même si je les
ai réécrites pour que ce soit lisible et pas uniquement audible. Mais c’est un
rêve, ouais, d’être publiée, ça c’est clair. J’aimerais publier un roman un
jour ou l’autre. Enfin, j’en ai déjà écrit un mais il n’est pas bon, donc ça
restera dans un tiroir et ce sera l’espèce d’exemple de chose à ne pas faire, à
ne plus faire. Mais j’aimerais bien, ouais, j’aimerais bien publier un roman.
Là, je me sentirai écrivain. Mais là, je ne me sens pas écrivain. Je me sens
juste auteur publié, quoi.
C’est quand même vachement travaillé, tes chroniques.
Oui, je crois que j’écris automatiquement de manière très littéraire, même pour
l’audio, c’est encore retravaillé pour l’écrit. Mais je n’estime pas faire
œuvre littéraire, quoi. C’est plutôt un bouquin qu’il faut mettre dans ses
chiottes et lire en fonction de la longueur de ses passages.
Est-ce que tu peux nous présenter les Myriam Leroy n’aime pas ?
Il s’agissait de montrer aux gens qu’ils n’étaient pas obligés de prendre pour
argent comptant tout ce qu’on leur matraquait toute la journée sur la gueule et
qu’on pouvait avoir un autre avis. Et ça permettait aussi de porter à la
connaissance du grand public des concepts, des groupes ou des machins qu’ils ne
connaissent pas forcément ou, si ils les connaissent, de dire « vous avez le
droit d’être différents et de penser autre chose ». Et pour moi, c’était une
bonne petite façon d’exorciser des petites frustrations et de m’amuser en
écrivant.
C’est quoi, ton actualité ?
Euh, je vais bientôt partir en vacances. [rires]
Tu vas où ?
Je vais au Maroc. Je vais à Fez.
Mon actu, c’est surtout le podcast de Focus que j’essaie de faire vivre, le
bouquin pour lequel j’assure le service après-vente et, puis, je crois que
c’est assez calme. Je vais passer un été quasi sans bosser, ce qui va me faire
en beaucoup de bien. Mais c’est vrai qu’il serait temps que je me mette un peu
à trouver des nouveaux défis parce que, là, je m’encroûte un peu…
Et jeudi tu vas être présentée par…
Pascal Claude. C’est mon voisin, en fait. J’avais envie d’être interviewée par un pote. Et voilà, je ne sais pas du tout comment ça va se passer, il me laisse la surprise.
Qu’est-ce qui te fait bander dans le journalisme ?
[avec une voix de Miss Belgique] Les rencontres-euh !
Euh, oui, mais en fait oui, rencontrer des gens et vivre des situations qui te font sortir de ta zone de confort, que t’aurais pas pensé à vivre toi-même parce que ça te fait peur. Ça, je trouve ça génial : de rentrer de chez toi et de te dire « j’ai fait ça, j’ai vécu ça, il m’est arrivé des trucs bizarres… »
Qu’est-ce qui te fait bader dans le journalisme ?
Les moyens alloués au journalisme aujourd’hui. Tu ne peux plus faire un grand
voyage sans que ce soit payé par le cabinet d’un ministre ou un truc
touristique sans que ce soit payé par l’Office du Tourisme qui attend de toi
que tu tresses des lauriers et que tu encenses la destination. Tout dépend de la
communication puisque c’est là qu’est l’argent et qu’il n’y en a plus dans le
journalisme. Tu n’es plus qu’un maillon de la chaîne de communication. Quand
t’es à New York ou à Londres et que t’as deux minutes vingt avec l’acteur ou le
chanteur qui dit la même chose à tout le monde, tu te sens comme une merde
quand tu rentres chez toi.
Un plaisir honteux ?
Je ne sais pas, j’en ai plein, j’ai l’impression de n’avoir que ça ! Trop
bouffer, trop boire… Ah, je crois que je suis la plus grande fan vivante de Jean-Jacques
Goldman ! Il paraît que c’est honteux. Moi, je ne trouve pas parce que je
l’aime vraiment bien, mais…
Tu nous racontes une blague ?
Attends, j’en ai entendu une, l’autre jour… Merde, je ne m’en souviens pas ! Je
te raconte la seule blague que je connais. C’est une blague qu’on m’a racontée
quand j’avais douze ans, hein — et à douze ans, je la trouvais géniale ! Mais
c’est très mauvais. Donc, si vous voulez ne pas rire, je ne vous en voudrais
pas.
Alors, c’est une gonzesse qui accouche. L’accouchement est très douloureux, elle est à l’hôpital, ça ne s’est pas très bien passé… La délivrance a eu lieu mais ça a duré des heures, des heures, des heures. L’infirmière lui prend son bébé pour lui faire sa toilette, part un petit temps et puis revient avec le bébé emmitouflé dans une petite couverture. Moment de plénitude et de communication totale entre la mère et l’enfant. L’infirmière lui tend son enfant et au moment où la mère, une petite larme de joie à l’œil, veut saisir son bébé, l’infirmière prend le gosse, le balance contre un mur, lui shote dedans, sur le crâne… Et la mère fait : « Mais enfin, que faites-vous à mon enfant ? » Et l’infirmière répond : « Poisson d’avril, il était déjà mort ! »
Crédit photos : Nadia Hamri