Camille (Pull de cheval) à poil

C’est la charmante Camille, maman de Pull de cheval, qui a dessiné l’affiche de la 69ème Biennale Naturiste du Fanzine. « À Rome, fais comme les Romains », dit-on… Qu’à cela ne tienne ! 

Des vêtements à terre lors de l'interview à poil de Camille au Festival du fanzine.

T’es qui ?
Je suis Camille. Je dessine et je fais du fanzinat, c’est pour ça que je suis ici aujourd’hui.

Ça veut dire quoi, dessiner, pour toi ?
C’est peut-être un peu cucul-la-praline, mais c’est ce qui me donne envie de me lever le matin. Une vraie passion, ça c’est clair !

Comment ça a commencé ?
Dès toute petite, j’ai dessiné. Après, le fanzinat, ça s’est fait par la force des choses : forcément, quand on dessine ce genre de dessin-là, un peu trash, c’est cet univers-là que ça concerne. Tout ce qui est un peu sous le manteau, un peu noir, c’est ce genre de délire, un peu Z, X et toutes les autres lettres de l’alphabet ! [Rires]

Dessin d'une femme qui se masturbe à genoux sur un lit.

C’est pour provoquer papa/maman, tes trucs trash ?
Pas du tout, non. Ma mère, elle connaît mes dessins, ça la fait rigoler. Bon, c’est pas trop son dada, mais ça la fait marrer. Et j’ai un père militaire que ça… ben disons que c’est plus simple qu’il ne s’y intéresse pas. Je crois que sa sœur a déjà vu et a fait la remarque que je devais avoir des problèmes d’ordre sexuel, mais bon…

Tu arrives à en vivre ?
Hélas, non. Ça fait de l’argent de poche, à droite et à gauche, mais pour en vivre, non. J’espère, un jour, mais pas pour le moment. J’enchaîne les jobs alimentaires. Ben forcément, pour nourrir son cheval, hein, faut bien ! C’est le cas de le dire ! J’essaie d’avoir des temps partiels, pour pouvoir consacrer le plus de temps possible à mon dessin.

Il y a moyen, en faisant de l’underground, de vivre de ça ?
Ah ben oui, il y a des gens qui en vivent, de l’underground. Il y a des grands noms. En France, on a Stéphane Blanquet, aux États-Unis, il y a le grand Robert Crumb. Au Japon, on a NemotoSaeki

Au Festival du Fanzine, Clotilde Delcommune interviewe Camille sur un lit. Elles sont nues. Au premier plan, une fenêtre ronde.

C’est quoi, Kronik ?
C’est un collectif d’environ dix dessinateurs. Et on fait un fanzine. On en sort deux par an. Ça peut aller d’une soixantaine de pages jusqu’à deux cents pages, en couleurs. Donc, il y a tous les membres du collectif plus les invités. Et un thème différent à chaque fois. Et on participe aussi à beaucoup d’événements liés à la BD, comme des festivals, partout en France et des fois à l’étranger. On fait des fresques et ce genre de choses.

Pull de cheval, c’est ton bébé ?
C’est mon enfant, c’est clair ! J’aime les comics américains des années soixante-dix, quatre-vingt et c’est un peu ce que j’essaie de retrouver dans mon fanzine avec les dessinateurs que j’invite. C’est souvent ceux qui, à cette époque-là, étaient en plein dedans. C’est donc un peu un comics, c’est quarante pages, en noir et blanc. Je dessine principalement dedans mais il y a une dizaine d’invités, de plusieurs nationalités : française, belge, allemande, américaine… Et à chaque fois, ça tourne principalement autour de la violence et du sexe. Mais bon, avec beaucoup d’humour et avec beaucoup de tendresse aussi et, malgré tout, des histoires de cœur — souvent zoophiles, mais bon, chacun fait ce qu’il veut une fois que les rideaux sont fermés !

Couverture du numéro trois du fanzine Pull de cheval. Une haïtienne danse pendant que sa comparse se fait manger par un requin.

Ça vient d’où, ce nom ?
Pas de raison particulière. Tu fais défiler certains noms un peu absurdes dans ta tête et celui-là, c’était le coup de foudre ! [Grand sourire]

Où est-ce qu’on peut le trouver ?
Dans certaines librairies à Paris.
Et à Bruxelles ?
À Bruxelles, non, dans des librairies, pas trop. Il y en a à la fanzinothèque.

Au Festival du Fanzine, Clotilde Delcommune interviewe Camille sur un lit. Elles sont nues et fument. Elles rigolent.

Est-ce que tu pourrais définir ton univers ?
C’est très série Z. J’aime beaucoup tout ce qui est horreur, gore et puis un petit peu érotique, aussi. Mais toujours autour de l’humour, humour noir, très noir, sadique, un peu, mais toujours… — j’ai envie de dire « mignon » parce que mes personnages ont un peu des tronches de poupées.

Il y a un côté japonais, aussi.
Je ne suis pas particulièrement calée en dessinateurs japonais mais il y en a qui me font beaucoup réagir, comme Nemoto. Il fait des dessins qu’on pourrait qualifier de « naïfs » mais il gère vraiment ce qu’il fait. C’est très brutal comme dessin, c’est juste génial ! Et ses histoires ! Par exemple, un mec qui se branle et il y a une centrale nucléaire qui explose plus loin. Son spermatozoïde prend des décharges radioactives et devient un enfant spermatozoïde. Quand il se met à aller à l’école, ça devient très compliqué parce qu’il est persécuté par les autres enfants ! [Rires] Et son père, il est violeur en série ! [Rires] Très trash mais toujours avec de l’humour, quoi. Dès que tu lis ça, t’es mort de rire à chaque case !

On retrouve l’esprit Hara Kiri dans ce que tu fais.
Ah ! [Elle se pâme] Oui, c’est une référence énorme, bien sûr ! Je suis fan d’Hara Kiri et du professeur Choron ! Oui oui oui oui ! Tout à fait ! Tout à fait ! Bête et méchant, juste comme j’aime !

Tu cites aussi comme influences Doucet et Hayes.
Julie Doucet, c’est une dessinatrice qui a fait des comics qui s’appellent Dirty Plotte, ça veut dire « chatte sale » [Elle pouffe]. C’est du dessin underground, des années quatre-vingt, quatre-vingt-dix. Une petite Canadienne, comme ça, toute gentille, et assez sage, mine de rien. Et Rory Hayes, c’est un des précurseurs du comics underground dans les années soixante. C’est un des premiers à être sortis du style, tu sais, très classique, avec les bonnes proportions et oser un truc vraiment différent. Vraiment faire un truc que personne ne faisait avant. Ben, c’est lui que j’ai tatoué sur l’avant-bras.

Camille, nue au Festival du Fanzine, montre le tatouage de son avant-bras droit.

C’est quoi, tes autres tatouages ?
Il y en a hélas quelques uns qui sont ratés parce qu’ils datent de l’adolescence et on sait bien quand on est adolescent, on a souvent des goûts de chiottes ! Du coup, ça fait beaucoup de noir parce que j’essaie de les rattraper. Sinon, j’ai des cœurs sur les épaules dont un dédié à ma mère. Tout le monde me demande si elle est morte, mais elle est bien en vie. Ça m’amusait. Puis j’aime bien les trucs kitsch, donc, voilà, ça, pour être kitsch, c’est kitsch !
Et elle est contente ?
C’est le seul pour lequel elle a pas gueulé.

Est-ce que c’est supportable, d’être rigolote à Paris ?
Je connais la réputation de Paris et elle est souvent très très juste et vérifiée. Mais je pense vraiment que c’est pas directement la faute des Parisiens. Paris, c’est une ville vraiment surpeuplée. Surpeuplée. Et c’est dur, vraiment, en plus avec toute la pollution, ça irrite les gens. Même un Bruxellois — plus encore qu’un Parisien parce qu’il n’est pas habitué — il va à Paris, il va devenir le pire des agressifs, il va se dire : « Merde ! Je deviens Parisien ! » [Rires] Mais il y a vraiment des gens incroyablement gentils et drôles — et dans cet esprit-là !

Interview de Camille au Festival du fanzine : elle et Clotilde Delcommune sont nues sur un lit. Plan sur leurs jambes.

Tu dessines beaucoup de femmes, il y a un truc même assez lesbien…
J’aime les hommes, hein, mais je crois simplement que je prends un certain plaisir à dessiner les femmes. Je trouve le corps des hommes très beau mais après, à dessiner, j’y prends moins de plaisir. Puis c’est un cercle vicieux : plus t’en dessines, plus t’as d’aisance.

Et est-ce que tu sens qu’en tant que femme, c’est plus difficile ?
Ben plus difficile, j’en sais rien parce que personnellement, j’en ai rien à foutre, mais alors là, royalement, de ce que les gens pensent. Mais il y a des hommes qui font la réflexion, genre : « Oh ! Mais c’est une fille qui a dessiné ça ? » C’est pas vraiment méchant, mais ils sont choqués, quoi. Vraiment. Une réaction de rejet, un peu. Mais c’est peut-être pas non plus ceux qui vont apprécier ce genre de lecture dès le départ. Un peu contradictoire, genre, ils aiment, alors ça les perturbe, alors, ils rejettent. Et après, oui, je pense qu’il y a des gens qui ne trouvent pas ça correct mais bon, je m’en fous, merde !

Illustration de Pull de Cheval. Des femmes pirates torse nu mangent une sirène et s'embrassent.

Est-ce que parfois tu te dis : « Oh non, là, je vais trop loin, je ne vais pas pouvoir faire ça ! » ?
Non. Non. Non. Au contraire, généralement, les gens me poussent à aller plus trash, encore.

Tu sens qu’il y a des limites que tu dépasses ?
Non. Je pense qu’il y a beaucoup de dessinateurs qui vont être incroyablement trash dans leurs dessins et très très timides dans la réalité. Donc, je ne pense pas quand tu dessines qu’il y ait tellement de barrières pour qui que ce soit. Au pire, ton dessin, tu peux choisir de ne pas le montrer.

Et à l’inverse, faire des trucs plus tendres, plus girly ?
J’ai plus de mal. Quand c’est sage, je trouve ça fade. Pourtant, il y a des gens qui font des trucs sages qui sont incroyablement beaux, ne serait-ce que graphiquement. Mais…  j’aime bien quand c’est pas très sage, quoi !

Les accessoires pour l'interview à poil de Camille au Festival du Fanzine : des cigarettes, un cendrier, des notes, un enregistreur.

Qu’est-ce qui te fait bander dans le fanzinat ?
Quand tu dessines comme ça, je crois qu’il y a toujours une affaire d’adrénaline. Que ça te fasse quelque chose, que ça te fasse réagir. Quand je tombe sur un auteur ou sur un dessin que j’aime bien, ah ! C’est le coup de foudre ! C’est jamais de la demi-mesure ! Parfois, j’ai le réflexe de me dire : « Merde ! J’aurais dû y penser ! » Tu vois ce que je veux dire ? Tellement ça te parle et ça te ressemble ! Ça va être ça qui me fait bander : découvrir quelqu’un qui me fait vraiment un électrochoc !

Qu’est-ce qui vous fait bader dans le fanzinat ?
Pas grand chose. Parce qu’il n’y a pas vraiment de censure, en fin de compte. Ben, il y a des gens qui font du fanzinat hyper cucul parce que ça leur ressemble, il y a vraiment de tout. Non, pas grand chose.

Gros plan d'une chaussure (verte à talon et à fleurs) de Clotilde Delcommune lors de son interview à poil de Camille au Festival du Fanzine.

Un plaisir honteux ?
J’aime bien dessiner des petites nénettes dans des positions suggestives, j’aime bien savoir que ça va soit exciter soir choquer certaines personnes.

De te dire qu’on peut être excité par ce que tu fais, ça te fait quoi ?
Ça m’est arrivé une fois par une amie et je trouve ça terriblement flatteur ! Ça me plaît beaucoup ! C’est agréable ! Pour moi, c’est pareil qu’un acteur, au théâtre, qui va faire pleurer son public.

Tu nous racontes une blague ?
Ah ben je vais vous raconter une blague de Vuillemin. C’est une petite fille qui est dans la rue en train de fumer une clope. Mais vraiment, elle a son cartable, ses petites couettes, son petit chemisier rose, ‘fin, elle a vraiment pas plus de dix ans, quoi, voire même bien moins. Elle fume une clope dans la rue et t’as un monsieur qui passe et il lui dit : « Mais tu fumes une clope ! À ton âge ! Mais c’est juste pas possible ! Pourquoi t’es en train de fumer ? » Et elle fait : « Oh, j’aime bien de fumer une clope, comme ça, quand je viens de faire l’amour ! » « Quoi ? À ton âge ! Tu viens de faire l’amour ! Mais pourquoi ? Avec qui ? C’est pas possible ! T’es trop jeune ! » « Avec qui ? Oh mais j’en sais rien, j’étais complètement bourrée. »

Portrait de Camille au Festival du Fanzine : elle est nue, debout, l'air cérémonieux et tient un modèle d'avion à la main.

Photos : Roxane Ancis.