Isabelle Wéry désossée

J’ai flashé sur Isabelle Wéry au fiEstival, où elle venait présenter son deuxième roman, Marilyn désossée, sorti le jour-même. Son charisme, son écriture très féminine, très charnelle : la rencontrer donne l’impression de croquer dans une pêche mûre. Nous la savions comédienne, chanteuse, écrivain ; en rentrant chez elle, nous l’avons aussi découverte sensible, drôle et généreuse.

T’es qui ?
Une fille, une fille. Une femme, une femme. Une femme, de quelque part sur la terre.

Ça veut dire quoi, la littérature, pour toi ?
C’est les mots. C’est aussi bien l’écriture pour la scène que de la poésie, que du roman. Souvent, je me fous des catégories. Au théâtre, je monte des textes qui n’ont absolument rien à voir avec le théâtre, qui a priori n’ont rien à y faire. C’est les mots, c’est un rythme, c’est une langue, une pensée.

T’écris différemment pour le théâtre ?
Une écriture de roman, t’es supra libre : tu peux vaquer dans toutes les directions, il n’y aura pas de problème pour la mettre en scène, tandis qu’une écriture pour le théâtre, c’est tout de suite des images que tu projettes pour une scène, qui doivent avoir une certaine configuration. Il y a une matérialisation. C’est une notion d’espace, à vrai dire. Le roman, pffou ! je délire à pleins tubes ! Le théâtre aussi, c’est pas ça, mais tu dois toujours avoir derrière la tête une manière de le confronter à l’espace. Mais autrement, c’est la même oralité, pour moi.

Comment t’as commencé à écrire ?
Une des premières fois que j’ai écrit, je devais avoir onze ans : j’ai eu un premier amour, l’été, dans un stage Adeps [rires]. Je pleurais pour ne pas y aller parce que j’aimais pas les groupes, puis j’ai pleuré pour ne pas en revenir. Et ce garçon, avec qui on s’est bien entendus, on était amoureux et tout, n’a plus voulu me revoir, jamais plus parlé au téléphone… Et, du coup, j’ai consigné sur papier deux-trois jours de récit. Pour ne pas oublier et pour revivre ce que j’avais vécu. C’est très sentimental, en fait.

Dans son coquet salon, Isabelle Wéry et Clotilde Delcommune rigolent.

C’est quoi, Marilyn Désossée ?
Mon premier roman, c’était une sorte de commande, et ça a été un tel plaisir que je me suis dit « ben tiens, je fais le deuxième, alors !» J’en avais déjà écrit une partie, parallèlement à mon premier livre (c’est la deuxième partie de Marilyn désossée, en fait) et je me suis mise à écrire quelque chose qui sera la première partie et puis, le titre est venu, Marilyn désossée. Je sais pas, j’avais pas un plan… ça s’est fait comme ça, les deux fois, un peu malgré moi. Je le faisais en dilettante, en hobby, à côté de tous mes autres projets pour le théâtre. Et puis, il y a eu cet événement, à la fin du bouquin, que j’ai vraiment vécu — j’ai accompagné une amie dont l’amoureux, très malade, devait mourir — et je me suis dit « je veux faire quelque chose qui aille vers ça. »

C’est ça qui a tout mis ensemble ?
J’ai travaillé douze ans, hein, quand même, sur ce truc ! J’ai commencé à l’écrire en 2001, c’est un truc de dingue ! C’est pour ça, il y a un moment où ça devient presqu’abstrait… Ça a été très fort une histoire de puzzle : comme elles avaient été écrites un peu de manière éclatée, il fallait rassembler les trois parties et trouver des liens.

Au Fiestival de Melström, Isabelle Wéry lit un extrait de "Marylin désossée".

Tu m’expliques le sous-titre, (féérie initiatique)?
C’est une sorte de quête, comme ça, de road movie où il y a des rencontres un peu improbables. Il y a une espèce de quête amoureuse, d’identités, une confrontation à la mort, à Dieu… Chaque étape est une nouvelle rencontre et elle en sort différente, un peu comme du slime qu’on modèle ou pas. C’est un être qui pourrait tout aussi bien être une femme, qu’un homme, qu’une plante verte, qu’un chat, un chien… Qui ne le devient pas, mais qui pourrait. Pour qui le fait d’exister peut avoir différents spectres, différents contours.

C’est ce qui m’intéresse dans l’époque qu’on vit, maintenant : on est loin des schémas de nos parents où on naissait, on rencontrait quelqu’un, on faisait des études, on travaillait, on faisait un enfant, on se mariait. Enfin, maintenant, on peut changer de sexe ! C’est dingue ! Et c’est magnifique en même temps : quelle liberté on a ! Du coup, l’identité peut s’épanouir telle qu’on le sent, telle qu’on en a envie.

Dans son coquet salon, Isabelle Wéry réfléchit fort pendant que Clotilde note.

La question de la féminité est importante pour toi ?
Je trouve que c’est un chemin, de devenir ce qu’on est. On vit dans une société bien nimbée de catholicisme, de haine du corps, de culpabilité du plaisir — qu’il soit sexuel ou autre. Il y a un bon vieux fond de ça dans lequel, moi, j’ai grandi… Déjà à ma naissance : ma mère avait « péché avant le mariage ». Donc voilà, ma mère, elle se promenait dans la rue avec son gros ventre, à dix-huit ans, et elle se sentait coupable. Toute cette histoire-là, c’est une histoire de société qui me touche très fort.

Puis devenir une femme, avoir un corps de femme qui pousse dans une adolescence, où t’es — c’est des clichés mais quand même — où t’es pétrie de publicité… Je n’aimais pas ressembler à tout le monde, tu vois. C’est un peu une drôle de chose, de devenir femme, c’est un chemin. Et puis, au théâtre, tu dois ouvrir ton corps, toutes tes barrières, pour être le plus disponible au jeu, au mouvement, libérer des choses en toi. Donc, t’es amenée énormément à travailler sur ton identité, sur ton corps, sur tes limites. Et puis, c’est des thèmes que j’adore, qui me passionnent. On vit tellement dans des velléités d’enfermement, que l’expression d’une certaine liberté, ça me fait plaisir.

Ta belgitude, ça compte ?
Oui, finalement. J’ai failli aller vivre à Londres, aller vivre à Berlin, aller vivre à Paris. J’aurais pu et puis, finalement, j’ai acheté un appartement à Bruxelles. J’aime bien cette drôle de terre. Et puis, on est très vite parti : en une heure, on est à Paris, on est en Allemagne… Je suis d’ici, quoi. Il n’y a rien à faire. Je retourne dans la ferme de mes grand parents, je suis de là, quoi. Il y a une manière de parler le français que j’adore, ici. Il y a des accents que j’adore. C’est presqu’un terrain vague. Les français, ils ont ce poids de la culture énorme, les allemands aussi, les anglais… Et c’est lourd, ce poids, et, en même temps, c’est quand même des références. Chez nous, c’est plus comme un terrain vague ; du coup, on peut construire un peu différemment. Après, en Wallonie ça manque un peu d’ambition, quelques fois. Et de soutien de la part de nos fédérations.

Dans son coquet salon, Isabelle Wéry explique un truc à Clotilde Delcommune avec sa main.

C’est quoi, ton actualité ?
Pour l’instant, c’est plutôt des préparations de choses. D’une part, il y a la mise en route de répétitions à partir du roman.
Ce sera où ?
Ça, c’est pas encore déterminé : ce sera pas pour la saison qui vient, mais celle d’après. Et après, je rejouerai le texte d’un auteur français qui vit en face, René Bizac. [Elle regarde par la fenêtre] C’est rigolo, il n’est pas là.

Et puis avec Jean-Michel d’Hoop et la Compagnie Point Zéro, avec laquelle on a joué Jodorowsky, on prépare un spectacle de marionnettes pour adultes. Et un autre spectacle autour d’Internet.

Et alors, le nouvel album de Juan d’Oultremont, auquel j’ai participé, va sortir en septembre, je pense. C’est bien, ce qu’il fait, c’est pas parce que c’est un ami, mais il a une écriture ! Ces textes sont étonnants, c’est très beau, très atypique. C’est beau, sa langue, c’est magnifique ! Je suis fière de participer à cet album.

Puis on va à Passa Porta le 13 juin pour l’Insurrection Tour de maelstrÖm, avec Théophile de Giraud. Je présenterai aussi Marilyn désossée le 22 juin à 18h30 à la librairie 100 papiers.

Qu’est-ce qui te fait bander dans la littérature ?
J’ai découvert Caroline Lamarche en août dernier et j’ai une admiration… Il n’y a que quelques auteurs, tu sais, Duras, Rimbaud, Lamarche, tu tombes dans leur écriture et tu sais qu’il y a ça dans ta vie ! Elle, ça m’a… à en pleurer, quoi. Je trouve ça très fort parce qu’elle a un style, c’est une langue, une écriture extrêmement fluide, presque classique, d’auteur, de… ouais, de Marguerite Duras, et en même temps, elle te décrit de manière extrêmement subtile des scènes de, ‘fin des duos. Moi, je suis assez obsédée de ce que les gens créent à deux, d’une culture, d’un langage qu’ils s’inventent. Et en même temps, j’ai lu des choses très différentes d’elle, comme La nuit l’après-midi, c’est très différent de J’ai cent ans ou du dernier, La chienne de Naha. Il y a une profondeur, chez elle. Je la trouve magnifique, énigmatique, très douce, comme ça. Ça, c’est un de mes derniers chocs.

Parfois, c’est des textes d’auteurs de chansons, aussi : vraiment, les textes de Juan d’Oultremont… J’adore son écriture. Je suis très admirative, aussi, des sonnets de Shakespeare. Les sonnets, c’est comme une chanson, c’est quelques paragraphes et tu dois être hyper concis et choisir tes mots. Ça peut être aussi des formes comme ça qui me font « bander ».

Qu’est ce qui te fait bader dans la littérature ?
Souvent, les articles de Libération[rires] Par exemple, Marcela Iacub, cette femme qui, dans le but de faire un scoop, a été la maîtresse de DSK pendant six mois. Tout ça pour en sortir un bouquin. C’est juste du fake, ça me débecte. Et c’est rigolo parce qu’elle a écrit un article contre Michel Onfray dans Libération qui dit qu’en détruisant des mythes, il ne cherchait qu’à devenir une vedette des plateaux de télé. Ce genre de trucs, je n’en ai rien à cirer.

Deux livres, dont un sur les perversions sexuelles, qui trônent dans le salon d'Isabelle Wéry.

Un plaisir littéraire honteux ?
J’aime bien parfois plonger dans CloserVoici et Public, juste pour me dire « oh, mais ça existe ! »[rires] Ça me détend, mais extrêmement. J’adore aller chez le coiffeur ! Puis tu découvres des gens : Amy Winehouse, la première fois que j’en ai entendu parler, c’est au travers de ça.

Raconte-nous une blague.
C’est deux bites qui vont à la plage. Et il y en a une qui dit à l’autre : « Bon je vais me baigner, tu gardes les sacs ? »

Crédit photo : Gautier Houba.