Rémy Legrand, « l’homme aux seins », la fonction fait l’objet

Comme vous le diront tous ses habitués, le BIFFF, c’est, avant tout, une ambiance, un public. Et ses éternels olibrius. Dans la jungle alternative cinématographique bruxelloise, il est difficile de rater Rémy Legrand, « l’homme aux seins »la sous-préfète des festivals. Égérie de Jean-Jacques Rousseau, certes, énergumène urbain, bien sûr ; mais qui est-il ? La représentation deviendrait-elle, à force, identité ?

"Brussels International Fantastic Film" en blanc, "BIFFF" en rouge. Un corbeau avec un imperméable et un chapeau haut de forme.

Qui es-tu ?
Rémy Legrand alias l’homme aux seins, l’androgyne mâle naturel, le gynécomastique.
Mais bon, je ne suis pas que ça, je suis bohémien, acteur de cinéma, ancien activiste, ancien globe-trotteur, prêtre satanique, bibliophile, cinéphage et… habitant Bruxelles, quoi.
N’oublie pas de mettre les trois petits point avant le « habitant Bruxelles, quoi ».

Rémy Legrand, dit l'homme aux seins, porte une improbable robe de chambre de soie noire avec des dragons, une branche de fleurs artificielles à la main, une cigarette à la bouche et un briquet dans l'autre. Il dévoile un de ses seins qu'il soutient en faisant "rock n'roll" avec sa main (celle du briquet)

Qu’est-ce que tu veux faire de ta vie ?
J’ai déjà grosso modo ce qu’il me faut sauf les plans cul.
Mes autres aspirations, c’est toutes sortes de rôles dans les séries B et Z, le cinéma underground, les films d’auteurs plutôt, parce que j’ai comme vraies ambitions d’être derrière la caméra mais de ne pas passer par une formation conventionnelle.

Tu parlais tout à l’heure de plan cul. Peut-être qu’on peut t’aider : qu’est-ce que tu cherches ?
De l’âge légal à vingt deux, côté masculin. Si ça peut aider, oui. Vous aurez même peut-être bien une figuration dans un film, tiens.
Donc tu prends tout, du moment que ce soit légal et masculin ?
Voilà. Esthètes, décadents, intellectuels…

Rémy Legrand, l'homme aux seins, est affublé d'une robe de chambre improbable en soie noire avec des dragons, de baskets blanches aux lacets jaune fluo et de chaussettes et d'un caleçon gris. Une cigarette roulée à la main, il dévoile ses jambes d'un air défiant certes mais dépressif.

Comment est-ce que ça a commencé, le cinéma et toi ?
Ouf ! ça remonte à l’enfance. En fait, j’ai eu un grand interdit parental : mes parents ne m’auraient jamais laissé regarder un Hammer et ça n’a fait que me brûler et me mordre d’envie. Quand j’étais en première primaire : j’ai bravé l’interdit parental chez des amis, j’ai volé des Edgar Poe et des Jean Ray. J’ai appris à lire comme ça en même temps que le Journal de Mickey.

C’est quoi, le BIFFF, pour toi ?
LE BIFFF, c’est l’événement de l’année avec les fins d’examens. J’ai commencé le BIFFF un an avant d’avoir l’âge où on pouvait rentrer à l’époque, en essayant de tricher.

Le cinéma, c’est ta vie ?
Ça tient une grande place dans ma vie avec l’alcool, la drogue, le sexe, la littérature, Nietzsche, Schopenhauer et caetara et caetara [il prononce « ette kaïtara »].

Qu’est-ce que tu dirais à un potentiel employeur pour le convaincre ?
Pour des raisons administratives, je suis acteur bénévole. C’est une raison de plus d’aller au BIFFF, hein. Je suis autant intéressé par les rôles freaks que par les autres rôles. C’était surtout dans l’adolescence que j’étais stricto sensu stéréotypé films B, films gores et caetara. Bon, aujourd’hui, j’ai l’esprit beaucoup plus large. Même pourquoi pas m’essayer à un genre ? — même un truc que je déteste, je veux bien. Même un téléfilm pourquoi pas ? histoire d’avoir l’expérience de vie. Bon, j’ai dit « l’expérience de vie », j’ai pas dit une carrière là-dedans, quoi.

Affiche du film le premier juillet chez Olga de Jean-Jacques Rousseau. C'est terriblement kitsch et il y a Rémy Legrand l'homme aux seins dessus.

Il y a un endroit où te contacter si on est intéressé ?
Me contacter, ça change tout le temps. Je suis devenu méfiant. J’ai quand même eu beaucoup d’agressions homophobes. Donc, je dois tout le temps me balader dans les rues de Bruxelles avec mon flingue. Je change souvent de contact accessible.

Qu’est-ce qui te fait bander dans le cinéma ?
Le B innovant, les grands films d’auteur donc Paul Morrissey, Lars von Trier, Tsukamoto. Les comédies à l’américaine. Ça revient à cinquante pour cent de ce que je regarde en me grattant les couilles chez moi avec mes raviolis froids.
Mais qu’est-ce qui est important pour toi ?
Le plaisir, oui… Une passion, c’est une passion, pour décortiquer, euh… Je m’avoue vaincu, je n’ai pas trouvé quoi dire. Il y a l’ambition de passer à derrière la caméra que ce soit scénar, que ce soit réal que ce soit… Mais bon faut…faut m’y mettre, quoi et donc c’est de la figu en attendant et de passer dans toutes sortes de cinéma donc mainstream, séries b, underground voire téléfilms. À mettre sur mon cv, quoi.

Qu’est-ce qui te fait bader dans le cinéma ?
Tous ces petits inserts propagandaires. Quand c’est le racolage américain… quoi que l’Amérique a la seule culture que je connaisse qui a une contre-culture meilleure que sa culture et quand c’est la contre-culture, il faut faire la part des choses.
Ce qui me fait bader ? Quand c’est nunuche, aseptisé, pour ma part.

Rémy Legrand, l'homme aux seins, est affublé d'une robe de chambre improbable en soie noire avec des dragons, et d'une branche de fleurs synthétiques. Il dévoile ses deux seins avec un air de défi, une cigarette à la bouche.

Un plaisir cinématographique honteux ?
Face à la mortMondo CaneLes religions sauvages… Je n’ai pas de honte. Ils ont même du sens, ces films, contrairement à ce qu’on raconte.
Il y a aussi Sammy CaseBel Ami productions et caetara et caetara.

Je te vois traîner dans les festivals depuis pas mal d’années et la question que je me pose, c’est : mais qu’est-ce que tu cherches ?
Là, j’y vais pour le divertissement. Voilà. Tu peux me poser d’autres questions.
Mais tu es en représentation.
Un petit plus au tout, quoi. J’aime bien m’habiller fun.
J’ai l’impression qu’il y a un truc ontologique quelque part…
Effectivement, je déteste la norme sociale, je déteste les dogmes, je déteste ce que l’on appelait jadis la bourgeoisie, le christianisme et les religions apparentées comme le nazisme ou l’Islam.
Je pense que je donne une bonne mauvaise impulsion à la société en y mettant de la folie. Freud, un de mes auteurs favoris avec Shelley, a bien montré les parallèles entre le carnaval et le Ça dans ses théories et donc, à force de m’habiller coloré, j’essaie de créer un mouvement social et surtout briser ce foutu Surmoi qui ne sert à rien et qui date du Moyen Âge.

Rémy Legrand, l'homme aux seins, est affublé d'une robe de chambre improbable en soie noire avec des dragons, une branche de fleurs synthétique à la main. Il a enfin allumé sa cigarette et regarde au loin avec un faux air mystérieux, comme ça.

Photos : Gautier Houba