Olibrius au grand coeur dont vous avez sans doute vu les coulées rouges sur la statue du grand humaniste Léopold II, Théophile de Giraud est un empêcheur de penser en rond. Littérature, performances, fête des non-parents, vie : tout est pour lui prétexte à happening intellectuello-festif. Je l’a rencontré lors du fiEstival de maelstrÖm, son éditeur.
T’es qui ?
Théophile de Giraud. Écrivain et performer anti-nataliste.
C’est quoi, la littérature, pour toi ?
Un truc généralement chiant, avec quand même des étincelles et des pépites. Ce qui m’a façonné dans mon adolescence et dans le premier âge adulte, c’est des gens comme Artaud, Jarry, Swift, Lautréamont…
Dans ce qui se fait aujourd’hui, je suis particulièrement sensible à ce qui se fait ici, avec maelstrÖm.
Il y a une
mentalité maelstrÖm ?
La mentalité maelstrÖm, c’est ce que j’appelle la New Beat Generation : écrire
après avoir eu une vie. Il y a une chose qui compte, c’est notre vie et c’est
en faire quelque chose qui nous plaît bien, de chouette et idéalement, pour
moi, de subversif. Rentrer dans le lard de la société de merde dans laquelle on
vit et aller au plus loin de soi-même, se partager avec le maximum de belles
personnes.
Comment tu
t’es retrouvé à écrire ?
Parce que j’ai survécu à un suicide. J’ai sauté d’une falaise d’Irlande à
dix-neuf ans.
J’écrivais déjà avant mais ça a été une libération parce que, quand tu meurs
vraiment dans ta tête et que tu survis ensuite, tout est permis, c’est une
seconde naissance, une naissance que tu as choisie. Tu t’en fous, alors, des
critiques, tu t’en fous de te planter, tu t’en fous d’être ridicule. Tu te fous
de tout ! Tu as survécu et t’es libre, tu fais ce que tu veux, mais, tu vois,
t’as moins peur qu’avant.
Parle-moi de tes œuvres.
Olalala ! Mes œuvres… [il réfléchit très fort et très longtemps]
Tu peux parler de tes grands thèmes ou de ton style…
J’ai un style ?
Il y a beaucoup de mots-valises, par exemple, dans ce que tu fais.
Oui, il y a des néologismes et des mots-valises.
En deux mots, le pivot central de tout mon travail (pas seulement ce que j’écris), c’est l’anti-natalisme : la remise en question de l’évidence, du conditionnement natalistes et un appel à s’interroger avant de faire un gosse. Est-ce qu’on en est capable? Est-ce qu’on est capable de lui donner du bonheur ? Peut-être autant ne pas en faire de gosse, je pense, mais si c’est le cas, autant que le gosse soit accueilli en tant qu’enfant, en tant qu’il est, qu’il mérite tout le bonheur du monde. Il y a des responsabilités à assumer. C’est pas l’idée de l’enfant-roi. C’est un enfant-centre, c’est différent.
Donc, au niveau des thèmes, il y a ça et puis j’ai aussi écrit sur la musique, qui m’a beaucoup structuré, qui m’a vraiment nourri. Je me suis construit autour de la cold wave, de l’after-punk. Cette musique m’a permis de trouver des énergies insoupçonnées. C’est une musique-alchimie, transmutatoire, qui te permet de faire vraiment des trucs forts avec tes plus grandes souffrances. Tu les métamorphoses.
Et là, tu
sors un aphorismaire anti-nataliste. Ça veut dire
quoi ?
C’est une fois de plus rebrasser la matière qui m’obsède et que j’ai envie de
partager parce que, tu vois, c’est vraiment un très lourd tabou. On est
conditionnés pour faire des gosses. Il n’y a aucun questionnement. C’est une
évidence totale et tous les gens qui refusent d’en faire sont généralement
soumis, particulièrement les femmes, à une pression énorme.
Tu te fous à poil en performance, tu verses de la peinture sur des statues, tu entartes les hommes d’églises. Tu comptes la finir quand, ta crise d’adolescence ?
Le plus tard possible, j’espère. Je ne compte pas mourir adulte. Je pense que, cycliquement, j’ai besoin de me ressourcer dans des pitreries, des trucs burlesques parce que, se prendre au sérieux, c’est quand même ce qu’il y a de plus lamentable au monde. Des trucs où je vais utiliser différents médias pour exprimer ma colère contre la société.
Léopold II, c’était dire : « Merde ! C’est quoi, ce truc, cette statue qui valorise un serial killer, un génocidaire ? Comment peut-on être au gouvernement, accepter des statues pareilles dans des espaces publics et prôner la justice ?»
T’as été pré- et post-facé par Jean-Pierre Verheggen, André Stas et Jean-Luc De Meyer (de Front 242). T’as couché ?
Et Corinne Maier, pour le recueil d’aphorismes.
Non, j’ai pas du tout dû coucher. Je suis pas du genre. Pourtant, j’adore coucher.
C’est juste des amis. C’est un grand bonheur de voir que des gens que tu places très très haut t’apprécient. Tous ces gens m’ont terriblement nourri. C’est évidemment un grand honneur d’avoir leur reconnaissance parce qu’on se sent tout petit, quand même, par rapport à eux.
Ça a été le coup de foudre, maelstrÖm et toi ?
Oui, tout à fait. Une belle découverte, une belle rencontre.
La cheville ouvrière, le chaman de tout ça, c’est David Giannoni qui a fait des études de psychologue. Il aurait pu devenir un psychologue bébête comme tout le monde et participer au conditionnement général de l’état-névrose qui te dit de t’adapter, mais il a fait un choix tout à fait différent. Il a travaillé treize ans avec les sans-abris, il a créé des espaces de parole pour eux. C’est vraiment un type vrai, sincère, qui est possédé par quelque chose et qui veut partager, partager, partager. Un tout grand monsieur.
Tu as commis aussi un Manifeste pour le droit à la nudité et à la sexualité dans l’espace public.
Eric Dejaeger, de la revue Microbe, a flashé sur ma performance et a voulu publier le texte. J’en ai fait une petite plaquette, façonnée tout à fait artisanalement, à la Do It Yourself, à la punk, un beau petit livre.
Dans lequel on peut admirer ta bite.
On peut admirer ma bite dedans, oui. Je ne sais pas si il faut l’admirer, mais en tous cas…
Je ne comprends pas très bien pourquoi les écrivains, les artistes qui portent des costards ont peur de leur sexe. Le sexe, c’est une des choses les plus vivantes et les plus merveilleuses de la vie.
C’est vraiment une performance que j’ai faite à poil. J’aurais voulu la faire aussi en faisant l’amour, un jour. Mais c’est très dur de bander parce que moi, tu sais, j’ai le trac quand je lis, je suis stressé et on ne bande pas bien quand on est stressé.
Là, ce manifeste relève la contradiction entre la violence — les objets de violence, les images de violence qui sont omniprésentes dans notre société — et le fait que le corps, qui est quand même notre bien le plus précieux (avant même peut-être notre esprit, finalement), qui est un objet de jouissance si on a appris à avoir un chouette rapport avec lui, eh bien, ce corps est censuré et réprimé en permanence. Par contre, les bagarres générales, la violence — d’état particulièrement (les flics, leurs matraques, leurs flingues), tout ça, ça passe très bien.
Est-ce
qu’il y a moyen de vivre de la littérature en 2013 ?
En faisant très fort sa pute, peut-être, ou en étant vraiment un grand
écrivain. Il y en a, heureusement, il en reste.
C’est
quoi, la suite, pour toi ? T’as déjà un prochain bouquin prévu ?
Ce sera l’anti-natalisme dans l’histoire des religions, une petite histoire de
l’anti-natalisme, et écrire quelques épisodes chouettes de ma vie.
Enfin, chouettes ou moins chouettes mais les épisodes impactants. Je crois
qu’on devrait tous faire ça dans notre vie, écrire vraiment sincèrement SA vie
dans les grands moments qu’on garde en nous, nos pires plantages ou les
anecdotes qu’on aime raconter aux amis.
L’idée, c’est d’abord de faire de sa vie une œuvre puissante. Aussi puissante
que possible. Pas dans l’absolu mais par rapport à soi, donc se transcender, se
dépasser, aller là où on a envie d’aller, tout simplement, aller jusqu’au bout
de ses désirs, de ses envies. Après, fatalement, il y a des choses qui se
passent, pathétiques mais merveilleuses, il y a des choses croustillantes à
raconter. Et ça doit être ça, pour moi, faire un livre.
Quand on
te voit comme ça, on a l’impression que t’es un jeune roquet provocateur, mais
en fait, t’es un mec avec un énorme cœur !
Ben ouais, j’ai du cœur et c’est fatalement un cœur qui a été blessé parce que,
quand t’es sensible, cette société bourrée d’injustices sociales et
économiques, avec des tonnes de gens en déréliction, fatalement, ça te fout en
colère.
Ce que j’écris est dépourvu de toute forme de sentimentalisme parce que je veux
renvoyer à la société une image de sa propre violence. Il faut dire notre
colère.
Qu’est-ce qui te fait bander dans la littérature ?
Au niveau des grands écrivains qui m’ont structuré, c’est ceux que j’ai cités tout à l’heure, c’est Bukowski, c’est Lydia Lunch, c’est Burroughs, c’est Baudelaire.
C’est Jean-Pierre Verheggen qui m’a donné le culot d’écrire. Il a libéré ma parole ; tout son travail, c’est de dire : « On écrit ! On écrit, on a du bide, on a de l’énergie ! On écrit, on déconne ! On écrit, on écrit, on écrit ! ».
C’est des gens comme ça qui continuent à me nourrir et, bon, je ne serai jamais à leur niveau mais je vais continuer à quand même essayer, ouais, d’encore foutre la merde un tout petit peu, quoi !
Qu’est-ce qui te fait bader dans la littérature ?
Toute cette littérature plof plof ! Ces trucs faciles, sans puissance, sans subversion. Ça m’emmerde clairement, cette littérature industrielle, commerciale. L’actionnariat des grands groupes, c’est EADS, c’est Dassault, c’est Lagardère. Quand tu fais de la littérature de pute, tu alimentes le système.
Plutôt vendre cent bouquins à des gens qui vont peut-être en retirer quelque chose, que d’en vendre dix mille ou quinze mille pour faire de la daube. Ça sert à quoi ? C’est tout le temps perpétuer un même modèle, ne rien apporter de neuf, se répéter, s’imiter, se ré-imiter parce que ça marche auprès du grand public qu’on a lui-même conditionné pour lui faire croire que c’était ça, la littérature.
Un plaisir
honteux ?
Je n’ai honte d’aucun de mes plaisirs : j’aime me branler, j’aime faire la
fête, me torcher la gueule, danser comme un fou, tomber en pogotant, faire
l’amour — de façon parfois pathétique…
Photos : Nadia Hamri
Vous pouvez trouver des morceaux choisis de son Aphorismaire à l’usage des futurs familicides ici.