Fébrilité. Impression de transgression. Aujourd’hui, mon ami Jean-Eudes [par souci de respect de la vie privée de mes proches, je les ai affublés de prénoms ridicules] m’emmène à une soirée fetish. Après m’être déshabillée et rhabillée mille fois, je me décide pour un petit-costume-home–made-de-lycéenne-sexy-avec-une-touche-punk qui fonctionne bien.
Jean-Eudes, au volant de sa voiture, me regarde avec des yeux ronds :
« Quoi, t’aimes pas ?
— Ah non, c’est super, mais on ne te laissera pas rentrer ! Puis, te ne te sentiras pas à l’aise !
— On fait quoi ?
— Attends, je sais. »
La copine de Jean-Eudes est strip-teaseuse. Elle est en train de travailler mais il m’assure que je peux emprunter une de ses tenues. On fait des essais, on boit, on rigole. Des amies nous rejoignent à l’improviste : qu’importe ! la garde robe de Marie-Gertrude est assez grande pour nous toutes ! Je porte une petite robe en latex, les côtés tenus par des anneaux et l’avant entièrement ouvrable grâce à une fermeture éclair. Elle m’arrive juste sous le rebondi des fesses. Ça, plus le maquillage : j’ai du mal à me reconnaître.
Difficile de ne pas se planter la gueule avec nos talons sur les pavés inégaux du quai. Nous y voici ! On monte sur la péniche. Un mec m’accueille grassement en me proposant, avec une voix de stentor, de me lécher. J’accepte. Il a subitement autre chose à faire absolument tout de suite. Le regard jaloux d’une brune autoritaire dont les énormes seins sont rehaussés par un corset m’en donne la raison.
Jean-Eudes m’avait prévenue : « Tu verras, les gens sont soit étonnamment moches soit super beaux. » Ça me prend un moment pour m’habituer. Impression d’être dans un film de Lynch, au début. Univers parallèle.
Une dame d’une soixantaine d’années à l’allure de dame pipi arbore fièrement une robe en cuir qui laisse sortir ses flasques mamelles. Un esclave tout de latex vêtu, visage compris, a dézippé l’espace-pour-la-bouche et, accoudé au bar, bière à la main, tape la discute avec un marin. Démonstration de shibari sur une bonnasse à poil. Au bar, une plantureuse maîtresse donne à son soumis des coups de cravache alors qu’il commande à boire. Un homme à la beauté surnaturelle en uniforme me sourit ; mon intérieur fond pour une minute.
Les potes sont, comme d’habitude, au bar. Étrange de se faire le mêmes bonnes vieilles blagues alors qu’ils sont à moitié nus, qui affublé d’une jupe, qui en imitation de Jim Morrison (ha ! ce pantalon en cuir taille basse qui a hanté mes fantasmes adolescents !). Ils sont pas mal, comme ça, les potes ! Ils me guident dans ce nouveau monde. « Tu vois le petit mec là, tout seul ? Fais gaffe, il va te demander de lui marcher dessus ! » Il est souffreteux, le regard fuyant.
Il est toujours au moins une personne dans chaque soirée qu’on ne peut s’empêcher de remarquer. Ce soir, c’est un mec avec une silhouette de fille, chauve, la grâce inquiétante. Habillé en diable, latex rouge. Il a une queue, une fourche à la main, un long étui pénien, des lentilles blanches comme touche finale à l’étrangeté ma foi fort homogène de l’ensemble. Je vais l’interroger, curieuse. Profite de mon statut de néophyte pour lui poser toutes les questions qui me passent par la tête. Il est charmant, très doux, un peu timide. Vient de Hollande. Participe à des soirées du genre dans toute l’Europe. Il a toujours aimé s’habiller comme ça, en avait honte, le cachait. Il se sent lui-même dans ce genre de soirées. Enfin. Libéré. Beau. Il dit vrai. Le plaisir et l’inventivité le rendent plus grand, spécial, libre. Beauté fragile et fière.
L’alcool a fait son office. Rires plus éclatants, gestes plus amples ; regards plus fiévreux, avances plus précises. Ma fermeture éclair frontale me vaut des myriades de dépoitraillages — mes amis sont des types subtils ! — Tout le monde semble s’échauffer au même rythme. Les filles s’embrassent, les bites sont caressées, les corps se frottent sur la piste de danse. Un soumis gémit dans sa cage, tente de lécher le talon aiguille-Tantale qui le nargue. Cuir sur latex. Souvent plus qu’à deux. Et les conversations, les rires. Mélange étonnant. Éminemment sympathique. Des gens se hèlent, d’autres s’emmêlent.
Je re-croise mon bel inconnu. Regards lourds. Je suis troublée. Je mouille. Je le perds dans la foule.« I wanna fuck you like an animal. » Il n’a pas tort, l’ami Trent. La dame pipi se fait mettre des pinces sur les tétons et mon diabolique batave, sucer sur la piste. D’adorables nymphettes jouent un show lesbien pour allumer leurs proies du soir. Les potes s’attardent sur mes seins quand ils me dézippent. On rentre dans le cœur de la nuit. Hey, baby, take a walk on the wild side.
Il est devant moi. Recoin de la salle, pas loin du DJ. Pas de mots. Sa main gantée sur mon sein nu. Cuir et chair. Et vite, uniforme contre courbes. On s’assied. Recoin, obscurité. « I wanna feel you from the inside. » Je le suce. Excitation. On nous remarque ? Quelques regards complices. Allumés. Je suis sur lui, assise. Juste sorti sa bite du pantalon. Va et vient. Soupirs. Autour de nous, les gens dansent, rigolent, se chauffent.
Je n’ai jamais rendu sa robe à Marie-Gertrude. J’en ai besoin assez régulièrement pour retourner à ces soirées. Retrouver mon îlot de fraternité, de beauté, de bizarre. Putain de liberté. Ce bateau où les dames pipi sont belles parce qu’elles montrent leurs mammelles flasques. Où on est entre nous, freaks hypersexualisés. Where we never lost our heads even when we were giving heads.
Fetish Project
Dresscode : cuir, latex, uniforme
Entrée 20€ Prévente 15 €
Ric Art’s boat, Quai des péniches, 1000, Bruxelles
Ces jolies photos sont l’œuvre du génial Robert Darklight.