Tel d’aucun il n’y a finalement pas si longtemps, je prends mes couilles à deux mains et je le dis haut et fort, ami auditeur : “Ich bin eine Groupie” !
Les tatouages pleins de sueurs, la lumière des projos, la basse qui te bat dans le clito, l’odeur de bières et de clopes, ça me fait mouiller.
Je suis une groupie depuis longtemps quand, avec ma voix aigrelette, j’ai crié à Patrick que je l’aimais jusqu’à n’en avoir plus (de voix), au milieu de la foule de mes contemporaines hystériques.
Je suis une groupie depuis longtemps, quand vierge et innocente, mes petites mains potelées ont religieusement décoré ma chambrette d’enfant de posters sur lesquels des Guns n’Roses presque nus faisaient des gueules d’orgasmes au-dessus de leurs instruments.
Je suis, enfin, une groupie aujourd’hui, quand je vais, regard qui en dit aussi long que ma jupe est courte, demander à des musiciens qui sortent de scène s’ils ont un “truc prévu après”.
Je suis une groupie aujourd’hui dans des enfilades rapides de toilettes, ou de groupe dans des chambres d’hôtel ; dans les amplis portés pour accélérer le processus ; dans les calculs en regardant la scène: “Le guitariste? Ouais, boarf, puis il a une alliance… Je vais plutôt viser le bassiste!” (J’ai toujours bien aimé les bassistes, moi : moins d’égo, plus de sens du rythme, plus faciles à draguer.)
Et du haut de mes années de groupieisme, je peux vous dire, les amis, qu’ils en ont souvent besoin, des comme nous, les musiciens. Surtout quand ils sont en tournée. Parce que bon, hein, les tournées, ce n’est point paillettes et bouquets de roses : entassés dans un van qui pue la vieille chaussette avec toujours les mêmes abrutis que t’avais plus choisis parce qu’ils avaient un garage où répéter que pour faire du tourisme de grande envergure, tu vas de ville en ville, de sound check en hôtel cheap, à prier pour qu’on ne t’ait pas foutu dans la même chambre que l’ingé son qui ronfle sa mère quand il cuve. Eh ben, dans ces conditions, un peu de cyprine et de douceur de seins, ça te fait une parenthèse qui te rappelle, à l’instar de la scène, pourquoi tu fais ça.
Je dois être rentrée en groupieisme comme on rentre en religion. On est tous là — zicos, fanzineux, programmateurs et autres ingé son ou lumière — pour la cause du rock n’roll. Pour la plupart d’entre nous, ça paie pas, et la gloire n’est pas vraiment immortelle. On fait ça parce qu’on la sent dans nos os, la musique ; parce que c’est notre famille, les pogos qui sentent la bière, notre patrie, les “Fuck you I won’t do what you tell me”. Notre prière, c’est sex and drugs and rock n’roll.
À notre ère de selfies et de féminisme politically correct, jai l’impression qu’elle se perd un peu, cette religion-là. Qu’on se met moins “au service de” pour devenir chacun, notre propre attaché de presse. Mais il y a en eu, des sacrés bonnes femmes! Sable Starr. Lori Maddox. Anita Pallenberg. Pamela Des Barres. Bebe Buell. Et toutes les autres, anonymes ou non, “band aides”, “road wifes” et muses… Merci pour la musique, les filles. Merci pour votre courage. Quand je vois le slut shaming et l’incompréhension que ça peut susciter aujourd’hui, je n’ose imaginer ce que vous vous êtes prises dans la gueule, toute minaudes, dans vos années septante et quatre-vingt.
“Les hommes meurent et ne sont pas heureux” — c’est le secret de Caligula chez Camus. Et dans cette grande incertitude dans laquelle on est tombés, on doit se trouver deux trois machins qui nous donnent chaud à l’intérieur, histoire de ne pas devenir complètement dingues. Moi, j’ai le rock n’roll. Et le sexe. Alors, je suce des mecs qui sortent de scène. Et putain, ça me remplit!
Lectures suggérées :
GILIAN McCAIN + LEGS McNEIL, Please kill me: The uncensored oral history of punk, Groove press, 2006. (Traduction française : Please kill me : L’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, Allia, 2006.)
PAMELA DES BARRES, I’m with the band: confessions of a groupie, Chicago review press, 2005. (Traduction française : Confessions d’une groupie, Serpent à plumes, 2006.)