Un couple de petits vieux sur un banc. Ça fait des années qu’ils s’y asseyent tous les jours à la même heure. Cette pensée dénoue dans la tête de la vieille l’écheveau des souvenirs : la guerre, le cancer, les infidélités, les rires, enfants et petits-enfants, les doutes et les bonheurs. Prise de tendresse pour celui avec qui elle est en train de terminer sa vie, elle réalise qu’elle ne lui dit plus assez souvent de mots doux, alors, elle le prend par la main, le regarde au fond des yeux et lui dit : « Ah, mon vieux complice… » Interloqué, le vieil homme de sa vie réplique : « Ben alors ? La peau de mes couilles aussi et je n’en fais pas tout un fromage ! »
C’est emplie d’une même tendresse, lecteur, que je prends la plume aujourd’hui pour rédiger cette déclaration d’amour.
Mon amour, mon ami, mon compagnon,
Quelle longue route nous avons parcourue, toi et moi ! C’est que nous avons dû nous découvrir avec les moyens du bord : jamais nous n’avons été présentés. Plus tard, bien plus tard dans notre relation, on m’a parlé de toi. J’avais déjà découvert beaucoup de tes secrets, alors. C’est toujours chouette de pouvoir se faire d’abord soi-même une opinion de qui est important dans nos vies. Et pourtant…
Si, pourtant, il n’y avait pas eu à ton égard un silence si éloquent, si méprisant, pendant nos premières années, nous aurions pu être amis bien plus tôt. Bien sûr, nous avons eu de la chance : nous nous aimons, nous sommes là l’un pour l’autre. Nous deux, c’est à la vie à la mort, jusqu’à la fin ! D’autres malheureusement ont connu la séparation bien trop tôt. Et sans doute, la mise à mort vivra toujours en leurs âmes et leurs corps. Tu te recroquevilles. Je suis en colère.
Ton nom te va si bien. Aussi exquis, aussi frais que toi. Un mot qui se prononce délicatement, sur le bout de la langue. Pas besoin de surnom, pas besoin de fioritures. Un bouton de rose ou un acronyme dont on pourrait être le maître, c’est plaisant, bien sûr. C’est rigolo. Mais ce n’est pas toi, mon ami, mon unique. Dans toute ta simplicité, toute la beauté de ta franchise. « Clitoris», c’est parfait : c’est personnel, c’est intime. On dirait un nom de fleur.
De quoi ont-ils tellement peur, l’as-tu compris, toi ? Signe des sorcières, porte d’entrée vers la folie, grand oublié de la recherche… tu as presqu’aussi mauvaise réputation que moi ! Avec tes terminaisons nerveuses par milliers, tu es le seul organe dédié au plaisir, serait-ce ça ? Encore un coup de ces pisse-vinaigre qui voudraient tellement une explication téléologique du monde, effrayés de ne pouvoir y trouver du sens ? Serait-ce aussi simple ? Qu’importe ! J’ai tellement d’amour pour tes bulbes, glandes et fourches que je ne permettrai jamais que l’on te manque de respect ! Je te protègerai, tu es en sécurité avec moi !
Je te remercie, mon amour, mon ami, mon compagnon, pour tous ces moments, à deux — ou (beaucoup) plus — où nous avons ri, oublié, partagé, vibré, vécu au plus profond de la vie. Quelle chance de s’être trouvés, et d’êtres restés si proches ! Quand je vois d’aucunes et le peu de cas qu’elles peuvent faire du leur. Le peu de soins qu’elles peuvent lui prodiguer ! Mais les femmes toujours ne ressemblent qu’aux femmes et d’entre elles les connes ne ressemblent qu’aux connes…
Viens, amour, ami, compagnon, prends-moi par la main et allons célébrer notre union comme nous savons si bien le faire et ne nous en lassons jamais !
P.S. : Lecteur, je te recommande chaudement le drôle, complet et intelligent documentaire Le clitoris, ce cher inconnu.