Itinéraire d’une salope gâtée

Lecteur, mon semblable, mon frère, nous avons une histoire à vivre, toi et moi. N’essaie pas de t’échapper, je viens de réussir ma promotion canapé. Lecteur, je te trouve charmant. Y a moyen qu’on fasse connaissance?

Cinq âges de la vie d'une salope, qui finit en écrivant au tableau.

Ça a commencé, je pense, au premier coup d’un soir assumé. Le lendemain, il l’était moins. J’ai dû prendre dix douches. Je me sentais encore sale là, sous l ‘épiderme. Comme si c’était là que résidait l’âme. Et parce que j’avais un amoureux à l’époque. On avait vingt ans, on ne voulait pas se mentir, on voulait expérimenter, on voulait tout vivre tout de suite. Un questionnement de la fidélité est venu assez naturellement au milieu de tout ça. Dix douches, dégoût, donc. Et pourtant, j’ai continué. Quelque chose m’appelait.

Adolescente. Des restes du deuil de Kurt Cobain. Je suis encore vierge et tombe souvent amoureuse. Des histoires qui ne durent pas. Gorges chaudes. Premières fois que je l’entends associé à moi. « Salope ». Réflexe dictionnaire — les livres, eux, sont mes amis.« Femme qui recherche le plaisir sexuel». Je me dis que les autres ont tort. Je commence à revendiquer.

Après-midi d’hiver. Il a dix ans de plus que moi, est barman dans notre café préféré et chanteur dans un groupe. Je lui écris une lettre tous les jours. Je mens à mes parents sur les horaires de mes répétitions théâtrales pour aller le retrouver dans sa garçonnière. Je le réveille quand je sonne. Il sent le vieil alcool de la veille. Des fois, je sonne et il ne se réveille pas.
Première pipe. Je le sens en moi. On ne fait plus qu’un. Découverte d’une autre dimension. J’avale, j’ai un peu de lui en moi, c’est la chose la plus belle qui me soit jamais arrivée. Il me demande si le monde s’est arrêté de tourner. Je pressens le pouvoir que je peux avoir. Tout mon être vibre, partout, plus fort.
Je lui offre ma virginité et il n’en veut pas.« Pour me respecter », dit-il. Le monde s’est écroulé et a, comme à son habitude, continué de tourner. Me respecter ?

Jour de mes dix-huit ans. Anniversaire. Première fois que je peux boire. Bourrée pour la première fois. Ce garçon me plaisait depuis des années et je n’osais l’aborder : il avait l’air d’avoir le mode d’emploi de la vie, lui. Chanteur d’un groupe de punk. Engagé. Souvenir d’un baiser puis trou noir.

Le lendemain, sensation étrange entre les jambes ; je lui demande si on peut se voir.
« Est-ce que par hasard, on aurait, euh… fait l’amour ce soir-là ?
— Oui.
— Ah… C’était ma première fois.
— Je sais, tu n’as pas arrêté de me le répéter, t’étais chiante.
— Est-ce qu’on pourrait se revoir?
— Tu sais, là, je sors d’une relation difficile… Reviens dans un an. »

Ils peuvent prendre mon corps mais mes sentiments sont un fardeau pour eux.
Premier tatouage.
Me réapproprier ce qu’on m’a volé.

Des histoires d’amour, de la tendresse, des rires et ce truc au fond des yeux des mecs qui vous admirent et vous désirent.

Des bites levées, en légions, en armées pour me dire que j’existe et que j’ai le droit d’être là.
Tu bandes donc je suis.

Durant toutes ces années, le sexe m’a accompagnée et m’a accouchée.

Je ne veux pas qu’ils soient des numéros. Je me suis battue toute ma vie contre cette idée de « respect de soi » que je suis accusée de ne pas avoir. Alors que c’est notamment dans toutes ces bites, tous ces yeux, tous ces épidermes, toutes ces rencontres que je l’ai gagné. Je suis aujourd’hui en accord avec qui je suis. Je me sens belle, libre, fière. Je jouis. Plein.

Jeudi 7 février 2013. Le rédac’ chef de Feever vient de partir. Dans une odeur de sexe, je repousse la peur de la feuille blanche. Heureuse et fière. Il est temps d’ouvrir un nouveau chapitre. Il est temps de partager.

Tout ce que le sexe m’a donné, je veux en parler.

J’ai découvert un monde formidable.

J’ai découvert que toute femme est fontaine, que l’orgasme peut être multiple, et la sodomie un plaisir.

J’ai découvert que je ne me respecte pas quand je me prive trop longtemps de sexe.

J’ai découvert avant toutes choses que le plaisir, c’est de la liberté.

Que suivre son chemin est la chose la plus révolutionnaire et la plus jouissive qui soit. Et qu’il y a un équilibre qui pousse au partage quand on est passionné.

Lecteur, j’espère que nous allons vivre énormément de moments de plaisir ensemble…

Une femme écrit sur un tableau qui porte un dessin de bite. On voit son porte-jarretelles.