Jacques Néwashish, Nehirowisiw, Atikamekw, artiste, belle âme

Il existe des gens qui vous font chialer puis qui vous prennent dans les bras avant même que vous n’ayez échangé vos prénoms. C’est ce qui m’est arrivé avec Jacques Néwashish au fiEstival. Un homme beau, droit, juste, généreux, debout. Il m’a parlé de la vie, de son peuple, d’art. Il m’a émerveillée, fait rire et pleurer. Je suis fière aujourd’hui, amis autochtones, de vous offrir cet article. Mikowetc pour cette rencontre !

Jacques Néwashish chante en jouant du tambour pendant le Fiestival.

Qui es-tu ?
Un homme. Je m’appelle Jacques Néwashish. Enfin, c’est le nom qu’on m’a donné à ma naissance, au baptême, « Jacques ». Et « Néwashish », le nom de mes ancêtres. Je suis Nehirowisiw — homme de la forêt — et je suis Atikamekw — c’est ma nation. Je viens de Wemotaci qui se trouve vraiment, vraiment au milieu de la forêt, des lacs et des rivières. Oui.

Au Québec ?
Au Québec. Ouais, en plein ça. C’est au Canada.

Et qu’est-ce que tu fais ?
Je fais plein de choses. Des choses que j’aime, bien sûr. De plus en plus. J’ai travaillé dans plusieurs domaines. Maintenant, je travaille dans un domaine qui est l’art. Et à travers elle, bien sûr, je m’inspire de mon identité autochtone. Je m’inspire de ma culture, de la nature, de l’histoire, des contes, des faits vécus. Je m’inspire aussi de mon cœur. Je m’inspire de ma vie. Et des rencontres. C’est ce que je fais.

Je vais souvent voir des enfants. J’ai travaillé beaucoup avec des enfants pour, justement, partager des histoires, des contes. De la transmission. Aussi au niveau de ma nation. Des jeunes de ma nation. Pour qu’ils connaissent l’histoire, des contes mais aussi de l’histoire. Je trouve ça très important.

Puis je dessine. Je dessine aussi beaucoup des livres éducatifs que ma nation utilise dans des écoles. J’ai fait quelques contes, aussi, comme illustrateur. Et ce que j’aime aussi faire, c’est de peindre. Je peins de différentes façons. Il n’y a pas juste un style du moment… ça dépend de mon inspiration. Alors, je peux peindre avec mes mains, je peux peindre avec mes pieds, je peux peindre avec un pinceau, je peux peindre avec la bonbonne, le spray, je peux prendre des choses qui sont là : quand je suis dans la forêt, ben, je peux prendre des fougères que j’utilise comme pochoir.

J’ai une bonne imagination. Je pense que c’est ça aussi qui m’aide beaucoup. Et aussi, je voyage. Et c’est pour ça que je suis ici : c’est grâce à ce que je fais — ce que je suis aussi — que je peux voyager. J’arrive de la France et là-bas, j’ai été faire une sculpture — parce qu’il m’arrive de temps en temps d’en faire, des petits comme des gros ou des grands ou du monumental.

Jacques Néwashish est pensif lors de son interview au Fiestival.

Est-ce que tu peux nous parler aussi des peintures qui sont là, derrière nous ?
Ces peintures, si on les compte, il y en a quarante. Et pour moi, le chiffre 40, c’est comme la quarantaine. Quand on met des gens dans la quarantaine, c’est pour dire : « Attendez, peut-être que vous êtes malades… » C’est un petit rappel de nous, les autochtones du Canada — ou de l’Amérique. On nous a mis en quarantaine dans des réserves indiennes depuis plusieurs années.

Vous êtes toujours en quarantaine ?
On est toujours en quarantaine. Oui. On n’est pas sortis de cette quarantaine. Mais on travaille très fort pour sortir de cette quarantaine qui a été imposée. On est au départ un peuple libre, nomade, et ça nous manque. Ça nous manque beaucoup, c’est une façon de vivre. On aimerait sortir de ça. On aimerait sortir de cette réserve indienne.

Sur ces peintures, ce sont les mains de chaque personne qui est passée au fiEstival, c’est ça ?
Au départ, les quarante petits tableaux qui sont là, je les ai placés à terre. Un par dessus l’autre. En cercle. Et j’ai pris la peinture en bonbonne, en spray et alors, j’ai fait des tourbillons de vie à travers tout ça. Je voulais que ces tableaux-là soient unis comme l’univers, comme la vie, tous ensemble.

Et après, je les ai séparés. C’est un peu l’univers qui s’éclate. Qui s’en va, dans sa direction propre à elle, à chacun. Et après, j’ai demandé aux artistes et aux gens, ici — les bénévoles aussi — qui étaient présents, de mettre leur main gauche, qui est la main du cœur pour nous.

Elles sont noires parce que le noir, ça représente pour nous l’Ouest. Et ça nous rappelle, en tant qu’hommes, de penser à la vie, méditer. C’est ça qu’il nous rappelle, l’Ouest. Quand on médite, c’est bon pour la tête, c’est bon pour le cœur. Ça peut en sortir une bonne poésie de vie, en fait. Ça nous rapproche du créateur. Créer, comme la poésie. C’est ce que je voulais faire aussi disons « symboliquement ». Ça nous rappelle aussi le monde des esprits, les ancêtres qui ne sont plus ici, ou les personnes, des amis qui ne sont plus ici près de nous. C’est ça qu’il nous rappelle, nous, le noir. Alors, c’est pour ça qu’on le fait avec le cœur. Avec la main du cœur.

Et la plume rouge, bien sûr, ça représente le peuple rouge, la plume d’aigle et tous les peuples des nations autochtones. Comme le sang qu’on n’oubliera jamais. Nos origines. Et ça nous rappelle que, ici, le fiEstival, c’est de la poésie. La plume nous permet aussi d’écrire. De transmettre des choses.

Clotilde Delcommune regarde les œuvres au mur lors de l'interview de Jacques Néwashish au Fiestival.

Est-ce que pour toi le geste artistique ne serait pas aussi important, voire plus, que le résultat ?
Quand je fais des choses, je veux qu’il y ait un résultat. Mais c’est sûr que tu vis des choses importantes pendant que tu fais quelque chose, soit pour écrire soit pour peindre parce que c’est ton temps, c’est ton énergie à toi propres que tu mets dans certaines choses. Et le chant aussi, ça vient de la voix, du cœur, ça vient du sang, c’est propre à chacun. C’est pour donner un résultat à ça. C’est pour donner quelque chose.

Et au point de vue terminologie, comment voulez-vous être appelés ? « Amérindiens », « natives », « autochtones », « peaux rouges »… ?
Chacune des nations, c’est différent. On parle de nations autochtones. « Autochtones » qui veut dire « les premiers peuples ». Je pense que le terme « autochtones », c’est le terme qu’il faut utiliser. Du moins quand on est en Amérique. Parce que ici, je ne suis pas l’autochtone, c’est toi ! [Rires] C’est moi, l’allochtone ! [À un ami, me désignant :] Elle est très typée, aussi, je vois ! [Rires]

Il y a une transmission de culture et de langue qui a failli être coupée entre les générations. On arrive à les faire revivre ?
Oui parce qu’il y a encore le territoire et parce que notre culture en vient. Tant qu’il y a la forêt, les rivières, elle va être tout le temps vivante, notre culture.

Le côté oral de votre culture permet quand même toujours la transmission actuellement ?
On enseigne maintenant la langue à l’école depuis trente ans. On le fait pour les enfants. La langue est importante, les histoires, les contes qu’on peut écrire, mais surtout dans l’oralité. Moi, je travaille beaucoup oralement. J’ai très peu publié des choses et je vais continuer, je pense, plus dans l’oral parce que ça permet de garder ça en mémoire tout le temps. Ça fait partie de la culture parce qu’il y a des choses que je connais qui viennent de très loin, très très loin. Et le fait de parler la langue, hein, c’est super beau.

Jacques Néwashish rit sous cape lors de son interview au Fiestival.

Comment on fait quand on est un peuple qui a connu tant d’injustices pour ne pas se laisser bouffer par la haine et la colère ?
Je pense qu’il faut être un peu fou. Fou, pas con. Je pense qu’il faut avoir un cœur assez fort. Oui, faut avoir un bon cœur. Pour avoir survécu et pouvoir vivre avec plein de choses néfastes, négatives puis qu’on est encore là, qu’on construit encore puis qu’on partage encore. Tu sais, pour sauver la planète, il faut sauver les autochtones. De partout.

Qu’est-ce qu’on peut faire nous pour les autoch… euh… pour les Amérindiens [rires] ?
Qu’est-ce que vous pouvez faire ? Ah… Qu’est-ce que vous pouvez faire pour vous-mêmes ? Qu’est-ce que vous pouvez faire maintenant pour nous ? Bien sûr, il y a des choses de solidarité à faire. Il y a des mouvements à joindre. Il y a des choses que chaque nation au Canada, aux États-Unis aussi, entreprend. Même il y en a plus bas, au Mexique, qui veulent protéger des lieux. Aller voir sur internet et se dire : « Oui, ce serait peut-être intéressant ou important de mettre mon nom pour une cause. »

Qu’est-ce qui te fait bander dans l’art ?
Les choses très spontanées, « enivrantes », je dirais. Être très présent, présentement, maintenant, présentement, là. C’est maintenant.
C’est aussi le fait de pouvoir dire des choses. Ce qui est très bandant, c’est de pouvoir donner. Et ça, c’est aussi très important : quand on donne, on reçoit beaucoup.

Qu’est-ce qui te fait bader ?
C’est quand on nous pose une question : quand qu’on nous voit et qu’on nous dit : « T’as pas tes plumes ? » Je trouve ça rigolo, mais… Parce qu’on pille, présentement, dans les communautés, dans les réserves. Il y a beaucoup de travail à faire. J’ai beaucoup, quand même, l’espoir des générations qui viennent, pour que la vie soit meilleure. Les coupes forestières me font chier. Le gouvernement me fait chier. Tous ceux qui n’ont pas de respect, aussi.

Quelque chose à ajouter ? [vous pouvez l’entendre le dire en atikamekw dans le lien ci-dessous]
Je vous remercie de me donner dans mon cœur beaucoup de choses, beaucoup de force que je viens y chercher ; pour moi, pour que je sois plus fort, pour que je sois capable de les transmettre à mon village, aux enfants, pour ma culture puis aussi pour le territoire. Je vous dis merci. Mikowetc.

Jacques Néwashish et Clotilde Delcommune rient ensemble pendant son interview au Fiestival.

Crédit photos : Nadia Hamri