Les passants

Bonne humeur dans le métro. Cette coquine de voix-dans-ma tête chantonne du Frank Michael. Je pouffe, guillerette. Elle insiste. Pour m’en débarrasser, j’écoute plus attentivement. Toutes les femmes sont belles. Je n’ai pas mon regard de métro, aujourd’hui. Cette coquille protectrice, « Vous êtes plein, mais je ne vous vois pas. » Aujourd’hui, regard nu et bienveillant. Je vous fixe, souris, cligne d’œil.

Et ça me fait ces pub Smirnoff, tu te souviens ? La bouteille passe devant et une statue de l’île de Pâques a écouteurs et bandana, et celle de la Liberté Réfléchit Sept Ans. Aujourd’hui, guillerette, sourire, ancré, sans peur, je vois dans chaque homme ce qui fait de Lui la Personne Absolument Indispensable dans une vie.

Pépites de petit garçon espiègle dans un coin de ce regard-ci. Ce torse-là t’englobe et plus rien n’est grave. Là, dissimulation d’intellect de peur de faire fuir. Ici, perdu entre féminisme et besoin de protéger. Lui, passion dévorante pour les femmes, jambes-compas arpenteuses de globe.

Regard en bouteille de pub et cœur qui fond. Envie de le leur dire à tous. Dans vos gueules, vos beautés ! La phrase qui guérira chacun au bord de la bouche. Pour toi, jouette ; pour toi, rassurante. Ou en détresse. Cérébrale. Languissante. Lourde acuité —juste ou non. Qu’est-ce que je peux bien faire de ça ? Amoureuse d’un wagon de mâles singularités volées à l’instant. Mon regard, ne sachant qui brûler, vous évite tous, mes petits amoureux.

Photo : Catoline Delhaye

Malgré son étrangeté, cette sensation m’est familière. Où donc ai-je pu expérimenter pareille incongruité ? Quand ? Avec qui ? Vide au creux des tripes en réponse. Tu n’es pas, n’as jamais été celle pour qui on quitte sa femme. Fille d’Ève, éternelle maîtresse, celle dont on évite Serpent et lendemains. Une horde d’inoubliables et d’oubliés me Smirnoffe les souvenirs. Leur garde baissée parce qu’ils mont voulue inconnue, qu’il m’ont voulue maîtresse.

Confidences par centaines. Savoir dont je suis l’involontaire dépositaire. Vulnérabilité des futurs et nouveaux papas, leurs besoin de sexe et solitude devant l’Aimée devenue Maman. Désarroi viril. Comment être homme en temps de femmes fortes ? Romantisme déçu des misogynes. Poids de ne pas savoir si on est beau. Beaux gosses dont on ne va pas voir les idées.

Je couche souvent avec les hommes des autres, et souvent ils me parlent d’elles. J’ai d’abord pris ça pour de la mauvaise conscience. Si tu me dis que tu l’aimes, tu l’as moins trompée ? Puis j’ai commencé à les écouter. Souvent ça leur manque terriblement, ça, être écouté. Plus que l’urgence des corps nus. Puis un regard gourmand qui dit : « Sois sans peur, je te veux ». Il leur faudrait apprendre à demander, dire les besoins mais ça leur est souvent insurmontable. Finalement, plus de conseils matrimoniaux que de détournements conjugaux. On ne parle pas de moi comme ça. Comme de l’Élue. Plus de demandes de tests MST que d’invitations à dîner.

Guillerette, légèrement amère, je regarde ces Belles Histoires que je ne vivrai pas avec des inconnus qui, prestes, s’évanouissent. Malédiction de fille d’Ève. Leur multiplicité. Difficulté de dire des mots-du-creux-de-ventre à des inconnus.

Métro métronome. Portes qui égrainent rencontres et adieux avortés. Le cœur lourd de tendresse, je murmure : « Tu me manques déjà. Au revoir. » Mains non effleurées et amours totales, drôle d’héritage.