Rencontrer un artiste avec la gueule dans le cul, ce n’est pas le rêve, surtout quand vous l’appréciez. Alors, en rencontrer deux… Mais l’humour de Françoise Cactus et la douceur de Brezel Göring (qui a absolument tenu à ce que l’interview se déroule en français, bien que ce soit loin d’être un exercice facile pour un germanophone) m’ont vite fait oublier ma gueule de bois. Et puis, ils étaient aussi fatigués que moi. Et puis, c’était de leur faute : c’est leur concert qui nous a mis dans cet état ! Stereo Total en lendemain de Grosse Praline : un lendemain de veille sont bien sympathique !
Bonjour, Stereo Total. Qui êtes vous ?
Françoise Cactus : Alors, moi, je m’appelle Françoise Cactus. Je suis française mais j’habite à Berlin. Je fais de la musique avec Stereo Total : je chante et je joue de la batterie. Parfois, je joue encore d’autres trucs : un petit instrument qui s’appelle « kaoscillator » ou alors du thérémine ou de la trompette — très mal — de la guitare, un peu. Eh ben voilà.
Brezel Göring : Moi, je m’appelle Brezel Göring. J’étais devenu dans la musique quand j’ai fait la connaissance de Françoise. Avant, j’ai fait plutôt des trucs expérimentaux ou des trucs de bruitiste et c’était jamais pour plaisir des gens ; mais avec Françoise, j’ai découvert en — comment on dit ? — en amitié avec certains façons de musique pop. Mais quand même underground pop, pas la musique populaire qui plaît à la majorité. Et, inspiré par elle et avec elle, j’ai commencé de faire le découvrir la musique de Stereo Total.
C’est quoi, Stereo Total ?
F. : C’est une espèce de cocktail, c’est une mixture d’influences complètement différentes. Avant, j’avais un groupe garage rock n’roll, les Lolitas, donc j’étais plutôt dans les trucs garage, rock n’roll, Chanson [terme utilisé par les allemands pour « chanson française », ndlr] tandis que lui, il faisait plutôt de la musique synthétique, avec des synthés, de la musique neue Welle, nouvelle vague expérimentale. Tout ça s’est rencontré et ça a donné Stereo Total.
Comment est-ce que ça a commencé ?
F. : On a fait connaissance à Berlin, dans la rue. C’est vraiment vrai ! On habitait dans la même rue : lui du côté Est et moi du côté Ouest et on s’est rencontrés en allant faire les courses. De temps en temps, on se voyait, on se disait bonjour : d’abord, on se regardait puis on se disait : « Bonjour ! — Bonjour ! » et puis un jour, on a commencé à papoter et c’est comme ça que j’ai su que c’était le mec de Sigmund Freud Experience, le groupe qu’il avait avant — enfin, c’était même pas un groupe, c’était lui tout seul. J’avais même des disques alors que c’est des raretés, il n’y a pas grand monde qui les a, ces disques-là ! Donc, on a décidé de se faire un petit morceau ensemble. On a enregistré un morceau qui durait quinze minutes, ce qui est vraiment étrange parce que maintenant, on se fait toujours des morceaux qui sont super courts, qui durent deux ou trois minutes. C’était une recette. De cuisine. Sexy. [gros éclat de rire] On ne l’a plus, ce morceau, d’ailleurs, on l’a perdu. Quel dommage ! Un jour, on le retrouvera peut-être, c’était sur une cassette.
B. : Voilà. Ouais.
F. : On a plein de cassettes à la maison, alors, je ne sais pas. On a dû oublier d’écrire dessus ce que c’était, je sais pas. On a dû enregistrer n’importe quelle merde par dessus.
Qu’est-ce que ça veut dire, la musique, pour vous ?
F. : Pas tout mais quand même beaucoup.
Presque tout. Par exemple, pour moi, ce serait impossible d’être avec un mec
qui n’a pas de musique chez lui ou alors qui écoute de la musique que je trouve
dégueulasse.
J’aime bien la musique un peu originale, amusante. D’ailleurs, j’aime beaucoup
la musique belge. Particulièrement la musique belge des années quatre-vingt, je
suis super fan et très étonnée que dans un petit pays, il y ait tellement de
gens qui sont doués pour la musique, c’est vachement bien. Très originaux, les
belges.
[À Brezel] C’est quoi, toi, pour toi, la musique
?
B. : C’est un peu pareil, c’est — Wie sagt man korperlos? — sans corps, immatériel. C’est dans l’idée de comment on peut vivre ou quelles sont les possibilités ou quelque chose. C’est comme un feu rouge ou vert, tu vois ? C’est comment le passage est ouvert et en même temps, il est beaucoup de genres de musique qui, pour moi, c’est un cul-de-sac très horrible.
F. : Oui.
Est-ce que c’est facile d’être un musicien à Berlin ?
F. : C’est
pas forcément facile, mais c’est plus facile, par exemple, d’être un musicien à
Berlin que d’être un musicien à Paris. Bon parce que Berlin, bien que ça ait
beaucoup augmenté, c’est quand même une des capitales les moins chères de
l’Europe. Et aussi parce que c’est international : il y a beaucoup de musiciens
de tous les pays, mais il n’y a pas trop de concurrence, c’est sympa. On fait
des trucs ensemble, on peut toujours faire des petites collaborations
intéressantes. C’est pas trop compliqué de trouver une salle de répète. Il y a
pas mal de caves [rires] libres
à Berlin. Donc, ça va et c’est une ville qui inspire pas mal, aussi, pour la
musique.
Et toi, française, pourquoi t’es partie à Berlin ?
F. : À l’époque, je voulais passer un an à l’étranger. Je pensais qu’une jeune fille moderne devait faire ça [rires]. Tu vois, il ne faut pas trop rester dans son coin, sinon, on attrape l’esprit de clocher [rires]. Puis après, ben, je ne sais pas, j’ai oublié de rentrer, un peu [gros éclat de rire]. J’avais commencé à faire de la musique avec les Lolitas et c’était vachement intéressant, Berlin, à l’époque.
Il y avait encore le mur, mais il y avait beaucoup d’artistes. Il n’y avait que des vieilles grand mères ou des gens tout jeunes. Pas du tout de gens soi-disant « normaux » : à l’époque, comme c’était encore occupé par les Alliés, les gens qui ne voulaient pas aller faire leur service militaire allaient tous habiter à Berlin. Donc, la ville était remplie d’artistes.
Il y avait des mouvements très bizarres mais vachement intéressants, des mouvements qui m’ont vachement inspirée, par exemple un truc qui s’appelait die genialen Dilettanten, les dilettants géniaux, c’étaient des mecs qui protestaient contre le genre de musique avec des solos qui durent une demi heure etc. Mais des mecs qui ne savaient pas du tout faire de musique et qui montaient sur scène et qui faisaient des trucs.
Ça été la naissance de la musique industrielle, aussi, avec einstürzenden Neubauten et tous ces groupes-là. Il y avait plein de groupes bizarres comme ça et des groupes de filles, plus que maintenant, par exemple Malaria, Matador…
Stereo Total, citoyens du monde ? Le côté international
est assez important…
F. : Ouais,
c’est vachement important. De toutes façons, à l’origine, c’est simple : c’est
déjà international puisque je suis française et que lui, il est allemand.
En plus, on a vraiment choisi de chanter dans beaucoup de langues. Au début, on
s’est dit qu’on avait envie d’aller au Japon. On s’est dit : « On va faire des
chansons en japonais !» J’ai demandé à une copine qu’elle me fasse des
traductions et qu’elle m’apprenne. Alors, voilà, ils nous ont invités à jouer
au Japon et c’était très bien. Du coup, ensuite, on a fait des chansons en
espagnol, en italien, en russe, en tout ce qu’on veut, en portugais, en… J’ai
même chanté déjà en islandais, ce qui n’est pas de la tarte !
On est pour le rapprochement des peuples ! [rire] Pour la
suppression des frontières ! Pour que les gens aient le droit d’aller partout !
Que les gens ne se fassent pas fiche à la porte parce qu’ils ont la malchance
d’être nés je sais pas où ! Parce que nous, on a de la chance, on peut aller
partout ; il y a plein de gens qui ne peuvent aller nulle part.
Vous avez une grosse fanbase gay.
F. : Oui
Vous avez une idée de pourquoi ?
F. : Je sais pas. Ça doit être à cause de Brezel…
Non mais moi, je plais aux filles parce que je joue de la batterie ! C’est presqu’aussi bien que de conduire un tracteur ! [gros rire]
Et puis lui, il est mignon. Ou il a un beau cul, je sais pas. [rires]
Puis c’est à cause des chansons qu’on a, ça les amuse ! Par exemple, la première chanson de nous qui était célèbre, ça s’appelait Schön von hinten, c’est-à-dire « Beau de dos » : tout le monde trouvait ça rigolo ! À Berlin, il y a plein de chanteuses, enfin de mecs qui se déguisent en filles et qui chantent cette chanson parce qu’ils trouvent ça hilarant. En plus, L’amour à trois… Peut-être les thèmes les inspirent…
Je trouve ça sympa. Et ça a été comme ça depuis le début, hein. Dès le début, les seuls mecs qui venaient à nos concerts, c’étaient tous des gays.
Qu’est-ce que vous pensez du concert de hier ?
F. : Du
concert d’hier ? Oh ! C’était énervant ! Non, mais enfin, je veux dire, les gens étaient très sympa et
tout ça, mais moi, j’avais en face de moi un fou, un dingue, qui arrêtait pas
de m’insulter et de me faire peur ! Il était complètement bourré, il avait dû
s’enfiler je ne sais pas quoi comme pilule, il avait des yeux comme ça, méchants,
et il était horrible. Je me disais que c’est dangereux d’être musicien, qu’il
allait m’envoyer sa bière sur la tête ou je sais pas. C’était horrible !
Stressant !
Donc, pour nous, c’était difficile mais mis à part ça, c’était quand même super
sympa, les gens étaient chouettes, on était contents de jouer à Bruxelles : on
ne joue pas souvent ici.
Est-ce que c’est facile, de vivre juste de l’art,
actuellement ?
F. : Euh…
ouf, non. Enfin, je ne pense pas. Nous, on joue beaucoup beaucoup, donc on vit surtout
de nos concerts. Je ne pense pas que l’on vive de la vente de nos disques, elle
n’est pas faramineuse… Mais bon, ça va quoi. Pour nous, c’est pas trop mal.
De toutes façons, on ne faisait pas de la musique pour devenir super célèbres.
On ne voulait pas faire de la musique mainstream, on voulait faire de la
musique bizarre, qui nous plaise et puis on s’est dit : «Si ça plaît aux gens,
tant mieux et si ça leur plaît pas, tant pis ». On n’était pas prêts à faire
quoi que ce soit pour faire beaucoup de fric. Mais quand même, de temps en
temps, on nous demande de faire de la musique pour des films, des trucs comme
ça. Oui bon, ça marche ! On peut payer notre loyer !
Qu’est ce qui vous fait bander dans la musique ?
F. : Euh… Bander dans la musique ? [éclat de rire] Avec mon super clitoris long de sept centimètres ?
Bon, disons, par exemple, si je me réveille, que je suis de mauvais poil, à Berlin, l’hiver, il fait tout gris, il fait mauvais, il fait froid, on n’est pas content, on est frustré… tu mets un joli petit morceau de musique : hop ! c’est magique, quoi, comme ça, tout de suite, ça donne un petit coup de soleil dans ta vie ! Ça change, tout, en fait. Si il n’y avait pas de musique, je crois que la vie serait atroce. Si il n’y avait que des bagnoles qui font « vrrrrrrrr, tut tut, pouêt pouêt », que des bruits… Parce qu’en général, on est entourés de bruits affreux. On parle beaucoup de pollution atmosphérique, mais la pollution de tout ce qu’il faut entendre, c’est affreux ! Rien que notre machine à laver, quand elle est terminée, ça fait « hiiiiii hiiiii » comme ça ! Ou alors, il y a des trucs affreux : la police qui passe : « wahahahaha ! » à vous rendre sourd ! Enfin, c’est affreux, tous ces bruits !
B. : Je crois même que je préfère la machine à laver comparé avec la musique qui est la normalité, parce que moi ce que j’aime toujours, c’est la musique, c’est l’exception et c’est quelque chose qui vit, qui est excitant. Il y a des voix extraordinaires ou des paroles qui sont extrêmement rigolo ! Oui, c’est ça, la musique, la extraordinarité et pas l’état normal.
Qu’est-ce qui vous fait bader dans la musique ?
F : C’est trop un domaine réservé aux mâles.
Ça m’énerve. Si on est musicienne, il faut apporter plus d’énergie qu’un mec.
On attend beaucoup plus d’une femme que d’un mec : on pardonne beaucoup plus à
un mec d’être fainéant, moche, tout. Tandis que si tu veux monter sur scène,
alors faut que tu sois belle, faut que tu sois intelligente, faut que tu fasses
tout parfaitement.
Et puis bon, j’aime pas la musique mainstream, ça m’énerve ! Tous les trucs
genre musique MTV, pfff… Le goût commun, enfin bon, je ne sais pas. J’aime pas.
Un plaisir musical honteux ?
B. : Oui, enfin,
j’ai pas la honte mais j’écoute beaucoup des choses que je crois tout le monde
doit avoir honte d’écouter euh je …
F. : Ah ben oui, alors des fois, alors là !
B. : J’aime bien des trucs, de temps en temps, j’aime très bien écouter des trucs ridiculement sentimental ou alors des vieilles adolescents. Non, c’est toujours, de temps en temps, j’ai un goût très trash et pas très sophistiqué.
F. : Oui, ça c’est vrai !
Racontez-nous une blague.
F. : Alors, je te traduis une blague qu’on m’a racontée en allemand.
Un type arrive en courant à une station service, il se déculotte, il prend le bidule, le pistolet, là, pour le machin… comment ça s’appelle, ce truc ? pour mettre l’essence, là. Oui, enfin, le pistolet à essence. Il se le met dans le cul, il appuie. Le mec du garage sort de la station service. Il sort, il lui dit : « Mais, c’est pas normal ! » Et il dit : « Non, c’est super ! » [rires]
Voilà, c’est ça, la blague. C’est complètement con ! [rires]
Photos : Nadia Hamri