Trust

C’est difficile quand on a envie qu’ils restent.

Il m’a laissée là. En général, je m’en vais dès que leur haleine du matin atteint mon nez. Là, je suis encore trop bourrée. Le corps qui te dit qu’il t’aime bien mais que si tu ne lui laisses pas encore quelques heures pour gérer les conneries que TU lui as fait emmagasiner, ça ne va pas bien se passer. J’aime bien l’entente qu’on a, mon corps et moi, alors, je l’ai écouté. Et puis en fait, je l’ai eue dans le nez, son haleine du matin, et ça me fait quand même grave chier de ne plus me serrer contre lui. J’ai essayé d’être spirituelle, même si encore bourrée et avec le corps que pousse le lourd du sommeil. C’est la seule manière que j’ai trouvée, là, pour essayer qu’il ne m’oublie pas.

Réveil dans ce lit que je ne connais pas, donc, une fois mon tribut payé à la biologie. Le chaud de son absence le long du corps. L’injuste de son absence le long du corps.

Touchée par la confiance de m’avoir laissée là. Mission dont je devrais être digne. Ça me prend un moment pour me rendre compte que ça ne vaut pas la peine d’essayer de ne pas faire de bruit. Code de la pudeur. Respect.

Ce mec me tétanise. Depuis longtemps. Hier, enfin, j’ai réussi à lui parler. Étonnée de voir que mes stratagèmes pouvaient marcher avec lui aussi. En tous cas, jusqu’à son appartement. Puis jusqu’à sa bite.

Il est silencieux, il semble avoir le secret. Faire partie de ces gens qui ont le mode d’emploi de la vie mais que quand on l’a reçu, on n’a pas le droit de le dire aux autres pour ne pas risquer la Grande Guerre de l’Insurrection des Sans Mode d’Emploi de la Vie. Je me sens scannée sous son regard. Comme avant de prendre l’avion mais en pire. Plus à poil. Gigotant. J’ai l’impression qu’il connaît le secret de mes gesticulations. Son silence, impression que je ne peux plus tricher. Que toute cette armure pendant des années savamment tricotée, c’est les habits du roi du conte. Nue. Tellement. Tellement plus que je ne l’ai jamais été, moi qui, pourtant, me fais une joie et un honneur de me dévêtir devant mon contemporain dès que faire se peut. Nue mais pas honteuse. Inconfortable comme une erreur de politesse. Vrai et droit comme une erreur de politesse.

Cet appartement me regarde de toute cette absence. Silence gêné de messe. Des traces de lui mais peu de choses abandonnées.
Les livres, je peux. Regarder les titres, c’est pas fouiller. Impression de violer, pourtant. Sa confiance. Son intime. Le miracle de la bite malgré le scannage. La beauté que je peux avoir alors, même sans la cotte de mailles de tricot. Je refais le lit. Chez moi, je ne le fais jamais. Mais là, il fallait. Comme un sourire tendre. Comme ce truc vibrant, précieux et fragile que me fait encore sa chaleur à mes côtés.

Tiens, il garde ça ! Tiens, il mange ça ! Découvertes. Merveilles. Indices d’un monde.
Tentation de transgression. De casser ça, son monde sans moi. Son monde de manuel dans lequel mon chaos n’existe pas. Lui faire du mal si je n’existe pas pour lui. Mais je me sens tellement bien, ici. Dans la confiance de m’avoir laissée chez lui. Résonnance avec un calme que je ne me connais que très peu. Sourire.

C’est difficile quand j’ai envie qu’ils restent dans ma vie. Et que je suis honteuse de ne pas être de ceux qui ont le manuel.

Photo : Clotilde Delcommune