Valéry Rosier m’a donné rendez-vous au Pacific, à Ixelles, « parce que c’est un des seuls bars qui acceptent sans broncher de passer Tourner les serviettes de Patrick Sébastien et ça, c’est une qualité non négligeable pour un bar. » On retrouve dans ses gestes la tendresse et la malice qui rendent ses films si particuliers. Dimanches a remporté un nombre impressionnant de prix dont le Magritte du Meilleur court-métrage et Silence Radio (lauréat de trois prix au FIPA) n’a rien à lui envier au niveau de la qualité et de l’humour. Courez-y, ce garçon, c’est le cinéma belge de demain !
Tu es qui ?
Je suis un Bruxellois qui essaie de faire des films qu’il aime. Un petit Belge qui essaie de mettre un peu de belgitude dans ses films.
Justement, ils sont vachement belges, tes films. J’ai trouvé, esthétiquement, des côtés ciné flamand, à la Anyway the wind blows…
J’adore ce film !
…et, en même temps, un côté wallon, plus drôle.
En fait, j’étais très fan des émissions Strip-tease et je suis très triste qu’elles soient devenues persona non grata à la télévision. Ce qui me désole, c’est qu’on ne puisse plus rire de nous-mêmes. J’avais envie que l’humour retrouve sa place dans le documentaire. Et d’une manière pas moqueuse, qu’on ait le droit de re-rire avec le réel. Parler de choses graves ou légère, mais pas avoir peur de rire.
C’est quoi, le cinéma pour toi ?
C’est raconter des histoires, c’est jouer avec la réalité. Pour les autres et
pour soi. Faire des films, c’est participer à nourrir l’imaginaire de l’autre.
Et regarder des films, c’est aussi nourrir le sien. J’essaie de trouver un beau
compromis entre nos vies et la confrontation au réel et nos vies et la
confrontation à la fiction. Les deux sont importantes, il faut jouer un peu
avec les deux. Le cinéma, il aide à ça — comme pas mal d’autres arts, je crois.
Quand est-ce que tu as su que c’était ça que tu
voulais faire ?
Très tard, en fait. Je me souviens, à douze ans, j’avais fait un plan de vie où
j’allais être ingénieur l’après-midi, footballeur le matin et comédien le soir.
Je m’étais imaginé toute une vie comme ça. Puis j’ai fait des études
d’ingénieur de gestion. Puis j’ai commencé à prendre des cours de théâtre et,
tout doucement, je me suis rendu compte que raconter des histoires, c’était
quelque chose qui m’intéressait… Tant qu’il y a une flamme en moi, je continue.
Pour l’instant, c’est essentiel, mais il faudrait que ça reste essentiel. Je ne
me forcerai pas à être réalisateur toute ma vie.
Tes films raflent énormément de récompenses mais tu es cependant inconnu du grand public…
Oui, mais c’est des petits films. C’est un court métrage, c’est un documentaire. C’est médiatiquement les parents pauvres du cinéma. Mais être connu, c’est pas… ce n’est vraiment pas une nécessité, je crois. [il pouffe] Mais c’est vrai que pour que le cinéma belge soit un peu plus vu, peut-être qu’il faudrait un peu plus de médiatisation, entre autres, des comédiens. On s’en fout, en fait, des réalisateurs ! Il faut qu’on connaisse les comédiens ! Il y a quelque chose de sain à ne pas créer une culture du BV comme en Flandre, mais je crois quand même qu’il y a un petit manque an niveau des WC… Il y a peut-être un problème de nom au départ ! [rires]
Tu as toujours du mal à trouver des subventions aujourd’hui ?
Ah oui oui oui, tout à fait, tout à fait, tout à fait ! J’ai des projets qui ne sont pas passés en commission. C’est rassurant, en fait, de savoir que des projets doivent être forts pour avoir des subventions, qu’il ne faut pas juste un nom ou des prix !
Les prix, ça change quoi, en fait ?
Je crois que ça te rend un peu plus crédible. Puis ça m’a surtout aidé à rembourser mes dettes parce que c’est tout des films que j’ai faits pratiquement sans salaire. C’est souvent des aventures qui durent deux ans et on n’a pas le temps de travailler sur beaucoup d’autres choses en même temps. Donc, rembourser mes dettes. Et être invité dans des pays exotiques où pendant deux jours, on est une petite star et puis quand on revient en Belgique, on est de nouveau un simple quidam chômeur.
C’est un choix, les courts ?
Au départ, on est complètement obligé de commencer par ça. Mais c’est vraiment un terrain d’expérimentation incroyable ! Vu que c’est pas un produit commercial, il y a moins d’attentes au niveau rentrées, ça permet d’essayer plein de choses, de travailler sans contraintes. Il faut essayer des choses… Dimanches, au départ, j’espérais qu’il soit sélectionné dans des festivals expérimentaux au fin fond de la Roumanie. Je l’ai fait dans cet esprit-là, puis par hasard, il a très bien marché. Aujourd’hui, d’autant plus, on peut faire des films avec une mini équipe. Je fais partie du comité de sélection du festival du court métrage à Bruxelles et on sent que c’est en train de venir, que les gens commencent à essayer des choses, que le court métrage conventionnel est en train de disparaître pour des nouvelles formes, des nouvelles manières de raconter des histoires.
Tu voudrais faire un long ?
Je rêve de ça. Travailler avec la réalité, ça m’intéresse encore très fort.
Donc, le fait de le faire en long, ça m’intéresse. De toutes façons, c’est le
sujet qui amènera la longueur… Mais l’idée de faire un long à la frontière
entre documentaire et fiction, c’est une frontière que j’ai envie d’explorer.
Selon ton Wikipedia — parce que tu as un Wikipedia, je ne sais pas si tu es au courant…
Je ne sais pas qui l’a fait mais ça flatte magnifiquement mon ego, d’avoir une page Wikipedia ! Tout le monde peut en avoir une, hein, tu peux toujours avoir un cousin qui peut te la faire…
Donc, selon ton Wikipedia, depuis le début, tu fais quasiment un film par an. T’es stakhanoviste ?
Ha non, non, pas du tout ! C’est des petits films, des blagounettes. Moi, en sortant des études, je me suis rendu compte que je n’étais pas réalisateur. En fait, réalisateur, c’est un long apprentissage. De vie, je crois. Quand on est réalisateur, il faut bosser… Des petits films, même institutionnels, des petits clips. Il y a tellement de réalisateurs qui attendent leurs subventions des années… C’est bien de faire ça, mais à côté, il faut bosser, il faut tenter des choses. Et j’ai tenté. Mais j’ai fait quelques belles merdes, hein, dont je suis très fier. [sourire]
On peut les voir ?
L’avantage, dans le court métrage, c’est que les merdes disparaissent toutes
seules.
Présente-moi Silence radio.
C’est un film qui est parti de petites capsules qu’on avait faites, avec Méryl Fortunat-Rossi, il y a cinq six ans, autour de la chanson française. Un jour, ma grand mère (j’ai fait plein de films avec ma grand mère, elle a joué dans plein de trucs que j’ai faits) nous a raconté une histoire à partir d’une chanson qui était liée à sa première histoire d’amour pendant le guerre avec un Canadien et sa mère qui a caché les lettres que le Canadien lui a envoyées en rentrant du pays. Et on s’est mis à faire des petites capsules sur des gens qui nous racontaient des histoires et nous chantaient des chansons françaises. On a proposé le projet à la RTBF qui n’en a pas voulu, mais est restée cette idée. Et un jour, j’ai trouvé cette radio, en Picardie, où des personnes âgées passaient de la vieille chanson française. Ils créaient du lien social dans la région : ils organisaient des bals, ils tenaient les gens au courant des activités, les bals et autres braderies et brocantes et lottos. Tout des bénévoles. Ils m’ont touché énormément et c’est là que je me suis dit qu’il y avait sans doute moyen de… Justement, c’est ça : il y a des idées qui traînent et à un moment donné, on se rend compte qu’il y a deux idées qu’on a eues à six ans d’intervalle qui en créent une nouvelle. C’est le mélange de ces deux idées-là qui est le point de départ de Silence Radio.
Il y a des trucs de toi qu’on peut voir sur le net ?
J’ai un vimeo où il y a quelques extraits de films, quelques films aussi. Je dois être à vingt-six visites, si je peux passer à une cinquantaine de visites et faire exploser mon compte vimeo…
Qu’est-ce que t’offres au cinquantième lecteur qui y va ?
Une voiture. [rires]
C’est quoi, ton actualité ?
Là, je suis plutôt en période d’écriture. Donc, je fais beaucoup de siestes.
Quand je suis en écriture, je fais beaucoup de siestes. C’est le principe de
l’écriture. Voilà. Et je lis. J’essaie d’écrire.
Qu’est-ce qui te fait bander dans le cinéma ?
Les gens qui prennent des risques. Les gens qui arrivent à être radicaux sans
se regarder le nombril mais en étant ouverts au public. Là, il y a quelque
chose d’assez magique. C’est ce que j’essaie de faire et c’est ce que j’aime
voir. La radicalité du type qui se regarde le nombril, ça ne m’intéresse pas.
Et le truc trop fait pour le public non plus.
Qu’est-ce qui te fait bader dans le cinéma ?
Il y avait un très beau festival de films d’écoles à Huy où j’ai été juré.
C’était des films d’école, j’y croyais pas trop, j’y allais un peu avec des
pieds de plomb.
C’est le FIDEC ?
C’est le FIDEC, oui. Et j’ai été impressionné par la qualité de films, belges et étrangers, et de l’organisation, du nombre de gens qui venaient et tout. Et puis, en plein festival, on a appris qu’il ne serait plus subventionné. Voilà un festival qui a une énergie folle et à qui on coupe l’herbe sous le pied ! Heureusement qu’il y a eu de la solidarité de la part du BSFF et qu’ils ont pu le faire perdurer en leur sein.
Un plaisir cinématographique honteux ?
En fait, moi, j’assume totalement. Je suis arrivé dans le cinéma en n’y
connaissant rien et je n’ai pas vraiment honte des films série B ou quoi que
j’aime. Je prends des plaisirs différents à voir un Tarkovski, un Ettore Scola ou
un bon Spielberg. Je lisais dans un de vos articles
que quelqu’un parlait de Bienvenue
chez les Ch’tis, moi j’ai rigolé. Voilà. Et je n’en ai
pas honte, je l’assume totalement.
Tu nous racontes une blague ?
Ça va être une magnifique blague pour un article par écrit ! C’est euh… Attends, merde, ça va comment, encore cette blague ? Tu connais la blague du menuisier qui a perdu un doigt ? Eh ben, elle est comme ça ! Retranscris-la telle quelle, sans même dire ce que je fais !
Crédit photo : Gautier Houba